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Festival de Saintes 2019 – Jubilation classique, improvisation baroque, grâce du lied – Compte-rendu
D’aucuns l’imaginent parfois encore uniquement occupé par le répertoire baroque – et les cantates de Bach ! – ; le Festival de Saintes a bien évolué au fil des ans, sous l’impulsion de Stephan Maciejewski, son directeur artistique, et présente une affiche diversifiée, de la Renaissance à la création contemporaine. Au lendemain d’une soirée inaugurale occupée par les polyphonies monumentales d’Orazio Benevolo, confiées à Hervé Niquet et son Concert Spirituel, la première journée du festival illustre la variété des styles et des genres qui fait l’attrait du festival charentais.
Le Jeune Orchestre de l'Abbaye © Sébastien Laval
Leçon d’enthousiasme d’abord avec le Jeune Orchestre de l’Abbaye et son directeur artistique, Alessandro Moccia. En position de Konzertmeister, le violoniste montre une fois de plus ses formidables qualités de meneur d’hommes (façon de parler car l’effectif est très majoritairement féminin). Il n’a pas choisi de faciliter la tâche à ses jeunes troupes avec un programme formé de la Symphonie n° 34 de Mozart et de l’ultime Symphonie n° 104 de Haydn. Quelle manière de lancer la phrase ! : dès l’attaque de l’Allegro vivace du KV 338, le ton est donné, et l’interprétation n’aura de cesse de traduire le bouillonnement impatient d’un ouvrage né de la plume d’un musicien sur le point de rompre avec Colloredo et Salzbourg – mêmement détestés ! Le propos n’est rendu que plus frappant par la position debout adoptée par tous les musiciens qui en ont la possibilité et la projection du son qu’elle favorise. Classicisme fougueux, qui sait aussi se montrer infiniment délicat dans l’Andante di molto central. Quelques scories ici ou là sans doute, mais elles ne comptent guère face à l’engagement des jeunes instrumentistes. La Symphonie en ré majeur n° 104 n’est pas en reste et montre une franchise, un souffle, une conduite de la phrase et une incessante relance du discours qui rendent pleinement justice au radieux couronnement du corpus symphonique haydnien.
Chantal Santon-Jeffery et L'Achéron © Sébastien Laval
Changement total de répertoire peu après avec « Grounds, un big band baroque » par L’Achéron et Chantal Chanton-Jeffery. L’ensemble de François Joubert-Caillet, qui fête les dix ans de sa fondation cette année, a noué des liens privilégiés avec le Festival Saintes où il revient cette fois dans un programme à dominante italienne (Monteverdi, Cavalieri, D’India) qui répand un bonheur contagieux dans l’Abbaye aux Dames. « Grounds, un big band baroque » ? Dans l’esprit du jazz, les musiciens se livrent à de l’improvisation sur des « standards » baroques, avec une jouissive complicité. Les timbres du cornet à bouquin, admirablement tenu par Lambert Colson, de la flûte à bec et du hautbois, entre lesquels Johanne Maître alterne avec une parfaite aisance, tout comme Krisztof Lewandowski entre le basson et la doulciane, régalent l’oreille dans les improvisations sur des pages instrumentales (ici une Bergamesca, là une Spagnoletta ou encore une Gaillarda napoletana).
Entre celles-ci la soprano Chantal Santon-Jeffery, en grande forme vocale, met son intelligence musicale et son attention aux mots au service de divers airs. Poésie et émotion dominent dans le Lamento della Ninfa de Monteverdi, le « Piangono al pianger mio » de D’India ou – car on trouve un peu de musique française – dans Une jeune fillette de Chardavoine et Doulce Mémoire de Sandrin. Le ton se fait jubilatoire parfois aussi, dans « O che nuovo miracolo » de Cavalieri, introduit par le splendide violon de Marie Rouquié, ou encore la ciaconna Zefiro torna de Monteverdi. Face à un aussi beau travail d'équipe, on s'en voudrait de ne pas citer les noms de Sarah van Oudenhove (basse de viole), Marie-Domitille Murez (harpe), Miguel Henry (archiluth et cistre), Pere Olivé (percussions), Philippe Grisvard (clavecin) et Yoann Moulin (positif) – l’un comme l’autre d’une inventivité délicieusement débridée quand il le faut ! –, tous sous la direction de François Joubert-Caillet (au ténor de viole). L’improvisation est un moment par définition éphémère, mais on ne se plaindrait nullment si le disque s’avisait de garder la trace d’un des ces « Grounds, big bang baroque ».
Kelly God et Anne Le Bozec © Sébastien Laval
Pendant longtemps en troupe au Staatsoper de Hanovre, la soprano Kelly God (photo) a eu bien des occasions de mettre sa voix au service de grands rôles wagnériens. L’an dernier à Saintes, où elle était pour la première fois invitée, c’est les Wesendonck Lieder qu'elle interprétait, sous la direction de Philippe Herreweghe. Grand moment d’émotion, qui lui vaut d’être à nouveau conviée cette année pour un récital avec Anne Le Bozec (photo). On sait que la pianiste, présente à Sainte en 2018, avait eu l’occasion de l’accompagner la soprao néerlandaise pour la préparation des Wesendonck Lieder et de constater combien « le courant passe » entre elles deux. Stephan Maciejewski a saisi l’occasion et proposé au duo de se reformer, en concert cette fois, pour un Liederabend.
Un moment de grâce que l’on goûte d’autant mieux qu’Anne Le Bozec prend la parole pour présenter chacun des groupes d’œuvres du programme. Quatre Mendelssohn, trois de Felix (Auf Flugeln des Gesanges, Suleika, Neue Liebe) et un, très prenant, de Fanny (Verlust), ouvrent la soirée et soulignent d’entrée de jeu l'entente entre une voix ample et longue mais capable de subtiles nuances et l’une des plus fabuleuses accompagnatrices de notre époque. Belle entrée en matière, suivie de quatre Brahms : Immer leiser wird mein Schlummer, doux et prégnant à souhait, Liebestreu, porté par un clavier très expressif, Unbewegte laue Luft, d’une progression dramatique intensément vécue, et enfin, Vergebliches Stänchen, rayonnante bonne humeur.
Les lieder de Liszt sont trop rares dans les programmes et bien des auditeurs auront pris avec trois d’entre eux la mesure de l’art du virtuose-compositeur en ce domaine – compris aussi avec une interprète telle qu’Anne Le Bozec combien son génie pianistique, son art des timbres ajoutent à la force expressive du résultat final. Dans Freudvoll und Leidvoll (arrangé par Eugen d’Albert) le duo saisit toute la complexité d’un morceau où joie et chagrin coexistent. On n’est pas moins fasciné par Bist du, portrait d’une âme féminine « froide comme un glacier » ou Der Fischerknabe, qui coule, innocemment, vers sa dramatique conclusion.
Richard Strauss conclut avec cinq pièces où l’art de la caractérisation émerveille (obscurité anxieuse de Die Nacht, vivacité de Die Verschwiegenen, douce nostalgie d’Allerseelen, bonheur douloureusement conquis de Befreit), tout comme l’humaine simplicité (admirable Morgen) que Kelly God et Anne Le Bozec apportent à la musique. La merveilleuse Waldeinsamkeit brahmsienne l’illustre une dernière fois en bis. Puisse ce beau duo vite se reformer !
Quant au Festival de Saintes 2020, notez dès à présent qu'il a été un peu décalé dans le calendrier et se tiendra du 18 au 25 juillet.
Alain Cochard
Saintes, Abbayes aux Dames, 13 juillet 2019 / Jusqu’au 20 juillet 2019 : www.festivaldesaintes.org
Photo © Sébastien Laval
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