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Festival de Saintes 2023 – Ferveur intacte – Compte-rendu
Un directeur général du CCR de l’Abbaye aux Dames de Saintes, ancien directeur de Sinfonia (festival qui a par le passé favorisé l’émergence d’ensembles parmi les plus en vue d’aujourd’hui), un directeur artistique (pour une période de deux ans) inscrit parmi les personnalités les plus marquantes de la vie musicale française d’aujourd’hui : l’union des talents de David Thédoridès et d’Hervé Niquet a fait des merveilles au Festival de Saintes ! Un vent de renouveau soufflait cette année sur une manifestation un peu assoupie depuis quelques années. A preuve : le public a répondu en masse (+ 40 % de fréquentation) à une programmation qui, tout en faisant appel à de grands aînés (Christie, Herreweghe), a su se renouveler en profondeur en réservant une large place à de jeunes musiciens à découvrir, ou déjà bien repérés comme c’était le cas lors de notre halte à Saintes.
Fraîcheur intacte
Une abbatiale pleine comme un œuf pour un concert de sonates en trio ? La chose relève de l’évidence quand Le Consort est à l’affiche. Pour leur première apparition au festival – il était temps ... – les jeunes instrumentistes ont fait le choix d’un programme mêlant Jean-François Dandrieu et l’un de ses principaux inspirateurs : Corelli. Le nom du compositeur français est étroitement associé à l’histoire du Consort, qui s’est en effet fédéré autour de sa musique – la Sonate op. 1 n° 3 est la toute première pièce qu’ils jouèrent.
Les années ont passé, Le Consort a enregistré Dandrieu et Corelli dès 2018 (Alpha) et a souvent eu l’occasion de redonner ces ouvrages en public. Le concert saintais a en tout cas démontré que la fraîcheur et l’émerveillement des interprètes (Théotime Langlois de Swarte, Sophie de Bardonnèche, Louise Pierrard et Justin Taylor) demeurent absolument intacts. Nulle routine, nul signe d’habitude dans les Sonates op. 1 nos 1 et 4 qui ouvrent le programme (que les interprètes, tour à tour, présenteront aux auditeurs avec simplicité et humour), mais une pureté de ligne, un soin apporté au détail qui, loin de les contraindre, rendent plus prégnantes l’intensité du dialogue et la générosité avec lesquelles la musique est abordée.
Qualités qui distinguent tout autant la Sonate en si mineur op. 2/8 de Corelli dont le tendre balancement du Largo introductif charme d’emblée. On n’est pas moins séduit par la Sonate en mi mineur op. 1/6 du Français, par la grâce mâtinée de mélancolie de sa Siciliana, ou encore par la Sonate en sol mineur op. 1/3 autour de laquelle Le Consort est né. Il la joue – la respire plutôt – sans partitions et avec un bonheur contagieux !
Petit avant-goût du prochain disque en solo de Justin Taylor (à paraître à la rentrée chez Alpha) sur le thème « Bach et l’Italie » (1), l’Adagio de Marcello/Bach, fluide et subtilement ornementé, ménage la transition jusqu’à la Follia issue de l’Opus I de Vivaldi. Une solaire et généreuse conclusion, emportée par les radieux archets de Théotime Langlois de Swarte et Sophie de Bardonnèche, qui est aussi celle du très bel album « Specchio veneziano » du Consort (Alpha).
Rituel magique
On avait assisté en 2019, à Périgueux, à la création par La Tempête du « Requiem imaginaire pour Charles Quint » au 29e Festival Sinfonia. Là encore, la prestation des interprètes à Saintes, démontre que la ferveur des débuts a été pleinement préservée. Inspiré par la fausse cérémonie de funérailles organisée pour soi-même par Charles Quint en 1558 au monastère de Yuste où il s’était retiré, ce grand office imaginaire n’aspire en rien à une quelconque forme de reconstitution. Fondateur et chef de la Tempête, Simon-Pierre Bestion (photo) le définit comme « le témoin d’une époque complexe et passionnante, à la charnière entre le monde médiéval et celui qui représentera les grandes découvertes du vieux continent. » La structure de la messe de morts sert ici de point d’appui à un agencement dramaturgique qui invite à une immersion dans l’environnement musical espagnol à la mort de Charles Quint.
Immersion : tel est bien le maître mot d’un spectacle hors normes qui, d’un extrait du Codex Callistinus à un Magnificat d’Antonio de Cabezón, en passant par des auteurs aussi divers que Janequin, Flecha « El Viejo », Machincourt, Morales, Créquillon, Escobar, Libert, etc., se déploie à 360° dans la cathédrale Saint-Pierre – lieu dont le choix témoigne de la salutaire volonté du festival de sortir d’une Abbaye aux Dames où il est longtemps resté cantonné.
La spatialisation, les déplacements des chanteurs ou d’une partie des musiciens (les vents), les cordes demeurant pour leur part sur une scène centrale, constituent l’un des atouts essentiels du spectacle. Plus qu’à une cérémonie funéraire, il s’apparente à un fascinant rituel magique (auquel les lumières de Marianne Pelcerf apportent beaucoup). La manière dont le public, dès les tout premiers applaudissements, se lève spontanément au terme d’une heure quarante sans interruption, en dit long sur la puissance d’un continuum de musique au cours duquel pas un temps mort ne se fait sentir.
Les solistes vocaux (Amélie Raison, Anaïs Bertrand, Edouard Monjanel, Imanol Irarola) tout comme les choristes, aux déplacements impeccablement réglés, apportent beaucoup au relief de l’ensemble, comme les timbres fruités des doulcianes, flûtes, saqueboutes et cornets à bouquin, tous admirablement tenus. Au cœur de ce « Requiem imaginaire » – Requiem Plus ultra, pourrait-on dire, à la mesure d’un des plus fascinants personnages de l’histoire européenne –, la direction de Simon-Pierre Bestion, tout à la fois peintre, architecte et célébrant, allie ferveur spirituelle et confondante maîtrise du matériau sonore. Entre la morose préservation des cendres et la fervente transmission du feu, le chef de la Tempête a depuis longtemps choisi son camp. Les auditeurs pourront le vérifier, une fois de plus, le 22 août au Festival de Rocamadour lors de la reprise de ce programme.(2)
Alain Cochard
(1) Sortie le 22/09/23
(2) www.rocamadourfestival.com/evenement/bomba-flamenca/ / Le spectacle est ensuite repris au Festival Oude Muziek d’Utrecht le 25 août. En résidence avec son ensemble dans cette manifestation, Simon-Pierre Bestion y donnera en outre les Vêpres de Monteverdi le 27 août : oudemuziek.nl/tempete
Festival de Saintes, abbatiale, cathédrale Saint-Pierre, 17 juillet 2023
Photo © Marion Bertin
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