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Festival « Les Passions baroques » 2023 /Montauban – Format repensé – Compte-rendu

 

La 9e édition de Passions baroques laisse entrevoir le Festival de Montauban à un tournant. Si les déclarations de soutien inconditionnel faites à l’unisson par la Ville, le Département de Tarn-et-Garonne et la Région Occitanie, brillamment représentés dans la cour de l’Ancien Collège (admirablement restauré) avant le concert d’ouverture, ont semblé éclaircir l’avenir de la manifestation, il n’en demeure pas moins que les subventions publiques ont très sensiblement diminué cette année, imposant une virtuose quadrature du cercle : comment conserver le haut niveau de qualité de ces rencontres, plébiscitées par le public et reconnues par la puissance publique comme étant au cœur de la vie culturelle locale, tout en réduisant le nombre des concerts et, par la force des choses, en recourant à des formats moins ambitieux – en regard, par exemple, de la recréation au Théâtre Olympe de Gouges, en 2022 (1), de l’opéra de Mondonville en langue occitane Daphnis et Alcimadure (dont la captation sur le vif paraît le 20 octobre chez Ligia Digital) ?
Fondateur des Passions​ et directeur artistique du Festival, Jean-Marc Andrieu, se pliant à l’exercice, a conçu un programme certes réduit mais varié, « prouvant » (au risque de conforter malgré soi un désengagement en termes de moyens alloués) que l’on peut faire qualitativement aussi bien avec moins – quand en réalité cela n’est possible qu’en renonçant à des projets devenus hors d’atteinte. Ce double aspect, extrême qualité et ampleur contrainte, s’est trouvé illustré par l’impressionnant concert d’ouverture.
 

Les Passions et le Chœur de chambre Dulci Jubilo, dir. J.-M. Andrieu © Auxie Boivin
 
Campra inédit et Charpentier en sa maturité
 
Si l’effectif de cette soirée Campra et Charpentier aurait mérité d’être plus étoffé, les forces en présence étaient en réelle correspondance avec le lieu : Saint-Joseph, ancienne chapelle du Collège jésuite. Les Passions y retrouvaient le Chœur de chambre Dulci Jubilo et leurs chefs respectifs : Jean-Marc Andrieu et Christopher Gibert. D’André Campra fut proposé un motet inédit, Cantate Domino canticum novum, découvert à la Bibliothèque nationale par Jean-Marc Andrieu (que l’on retrouvait à la flûte) durant ses recherches sur Antoine-Esprit Blanchard (2). Donnée en première audition le 13 août en clôture du Stage de Chant choral à l’abbaye de Sylvanès, l’œuvre toute en contrastes offre aux solistes de beaux moments d’éloquence : les sopranos Eva Plouvier et Anne Magouët, le haute-contre François-Nicolas Geslot (le Daphnis de Mondonville, voix des plus expressives, un peu en tension au début), le ténor Bastien Rimondi et la basse Pierre-Yves Cras, ce dernier, Montalbanais, d’une présence vocale pleine de noblesse et d’intériorité. Riche en situations singulières, l’œuvre constitue une idéale ouverture de soirée, instrumentalement (délicieuse introduction flûte et violon du récit de taille Recordatus est, avec Nirina Betoto) et vocalement (étonnant duo de basses-tailles, accompagnement dansant et bondissant) d’une stimulation de chaque instant. À la direction : Christopher Gibert, organiste et compositeur : l’enregistrement de son Stabat Mater (2018, au terme de la résidence de Dulci Jubilo au Festival de Rocamadour) est disponible chez Anima Nostra, label associatif « made in Tarn-et-Garonne », CD complété cette année d’un album Thierry Escaich.
 
La seconde partie était consacrée à un chef-d’œuvre tardif de Marc-Antoine Charpentier, la Missa Assumpta est Maria H.11 : structurellement un autre monde, d’une plénitude portant à l’incandescence le génie du Grand Siècle, nourri d’une connaissance intime de la musique italienne magistralement acclimatée, jusqu’à des accents montéverdiens, en termes d’élévation, absolument français. Christopher Gibert ayant rejoint le chœur, Jean-Marc Andrieu dirigeait cette messe avec la ferveur et l’empathie qui toujours l’unissent à ses musiciens. Pas d’enregistrement prévu pour cette œuvre fameuse, mais une mémorable et intense expérience au concert.
 
Le Quatuor Ephémère © Emily Remy
 
Judicieux éclectisme

 
Le lendemain était proposé en l’église de Gibiniargues (Puycornet) un concert repris le dimanche matin sur la terrasse du château de Lamotte, à Bardigues (1), concert vocal a cappella par le Quatuor Éphémère (photo). Où l’on retrouve Christopher Gibert, basse lumineuse d’une articulation et d’une projection si spontanées, à l’instar de Camille Suffran (soprano), Lucile Rentz (mezzo) et Malo Evrard (ténor). Leur répondait une acoustique en extérieur tout simplement parfaite, propre à goûter les mille nuances d’un programme curieux de tous types de répertoires, judicieusement éclectique : d’un motet pluritextuel du Codex de Montpellier ou du Livre Vermeil de Montserrat, via Praetorius, Dowland et des airs du temps de Louis XIII, jusqu’à Debussy et Saint-Saëns, Gershwin et Poulenc (savoureux Margoton va t’a l’iau), Claude Nougaro et les Beatles – sans oublier la sphère irlando-américaine : Charles Villiers Stanford et Calvin Carter, ou le Canadien Raymond Murray Schafer dont le facétieux Jou-jou (1979) est une perle – on songe au Stripsody de Cathy Berberian, collage d'onomatopées. Un pur bonheur, vocal, musical et humain, dans un cadre délicieusement accueillant, le château de Lamotte recevant pour la quatrième fois le Festival.
 
Céline Frisch © Mirou
 
Enrichissantes retrouvailles 
 
Le concert de l’après-midi, en l’abbaye de Belleperche (riche et passionnant Musée des Arts de la Table), promu par le Département et à entrée libre : d’emblée complet, compte tenu de l’invitée !, permit d’entendre les Variations Goldberg de Bach par Céline Frisch sur un somptueux clavecin signé Philippe Humeau. Maîtrise confondante d’un cycle mûri puis resté quelques années sans être joué par la musicienne : enrichissantes retrouvailles, mise en exergue et en abyme d’un cycle aux innombrables facettes, hautement spéculatif et dont on s’émerveille chaque fois qu’il puisse être d’abord d’une indicible beauté, submergeant l’auditeur par son inventivité savante et pourtant immédiatement accessible par les sens.Céline Frisch, jouant par cœur, sembla mettre d’emblée de côté les redoutables contingences instrumentales, dominant la matière jusqu’à évacuer toute tension non musicale. Une approche du clavier d’une souplesse inouïe, des mains d’une précision sidérante et comme en apesanteur dans les virtuoses variations à deux claviers, musique pure d’une prodigieuse vivacité fusant par l’esprit. Le cycle était introduit puis entrecoupé d’extraits du roman de Nancy Huston Les Variations Goldberg, par la comédienne Nathalie Vidal, d’une franche et chaleureuse présence, maniant humour et causticité avec maestria, jusqu’à une authentique réflexion sur l’essence de la musique et le rôle de l’interprète. Un autre regard, d’une cohérence s’affirmant au fur et à mesure du dialogue, sur un cycle d’exception.

Le Festival allait ensuite retrouver ses lieux de prédilection : Théâtre (Le Concert de l’Hostel Dieu, Ensemble Jupiter), Musée Ingres-Bourdelle, Espace des Augustins et Médiathèque de Montauban (Actions pédagogiques Jeune Public), mais aussi, fidèle à sa mission de décentralisation départementale, l’abbaye de Beaulieu-en-Rouergue et son exceptionnelle collection d’art moderne, pour un récital de clôture avec Anne Magouët. Croisons les doigts pour que l’édition 2024, celle des dix ans du Festival, puisse voir le jour, et dans de bonnes conditions.
 
Michel Roubinet

 

Festival Passions baroques (Montauban), concerts des 29 septembre et 1er octobre 2023
www.les-passions.fr/fr/festival-passions-baroques/edition-2023/
 
 
Sites Internet
 
Les Passions – Orchestre Baroque de Montauban, Jean-Marc Andrieu
www.les-passions.fr/fr/musique-baroque/
 
Chœur de chambre Dulci Jubilo, Christopher Gibert – Label Anima Nostra
www.animanostra.fr/ensemble-dulci-jubilo
 
 
(1) Mondonville – Daphnis et Alcimadure
www.concertclassic.com/article/daphnis-et-alcimadure-de-mondonville-au-festival-passions-baroques-de-montauban-2022-reprise
www.les-passions.fr/fr/daphnis-et-alcimadure-de-mondonville/
Captation vidéo de la reprise au Capitole de Toulouse :
www.pom.tv/film/daphnis-et-alcimadure/
 
(2) Antoine-Esprit Blanchard
www.concertclassic.com/article/jean-marc-andrieu-et-les-passions-au-festival-radio-france-montpellier-occitanie-blanchard
www.concertclassic.com/article/festival-toulouse-les-orgues-le-pari-gagne-de-la-diversite
 
Photo © Emily Remy

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