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Festival Passions baroques de Montauban 2021 – Et bien dansons maintenant ! – Compte-rendu

 

 
Les festivals de l'automne avaient eu la chance en 2020 de ne pas devoir annuler (1), bien qu'avec jauge réduite. Celle-ci est désormais levée, mais tout le public n'est pas encore revenu. À l'aune de conditions toujours de transition, la 7e édition de l'inventif et si convivial Festival Passions baroques de Montauban (une vingtaine de rendez-vous du 1er au 10 octobre) aura été indéniablement un franc succès : concerts, avant-concerts (dits « avant-scène »), rencontres littéraires, actions pédagogiques, cinéma. Jusqu'au Bal baroque qui refermait cette édition sur le parvis ensoleillé du Théâtre Olympe de Gouges, avec la Compagnie Fêtes galantes, l'Ensemble Lyra et la chaleureuse participation d'un public nombreux et enjoué, guidé par Béatrice Massin en maître à danser, laquelle avait au préalable proposé avec ses danseurs trois jours d'ateliers.
 
Car le thème de l'édition 2021, outre le baroque français, était la musique à danser dans l'Europe des XVIIe et XVIIIe siècles. Ouvert par Flavio Losco et Étienne Mangot, violon et viole de gambe : De Vienne à Hambourg, suivis de l'ensemble les Passions en formation de chambre explorant le fonds ancien de la Bibliothèque d'Étude et du Patrimoine de Toulouse, avant d'enchaîner sur Vivaldi, Telemann et Boismortier – ce dernier ensuite évoqué au côté de Barrière, Corrette, Couperin et Forqueray par Pauline Lacambra et Yann Garcia, violoncelle et clavecin, au Musée Ingres Bourdelle, partenaire régulier depuis sa réouverture (2) –, le Festival proposait notamment deux rendez-vous, en coproduction avec Confluences (3), autour du roman de l'écrivain suisse Matthieu Mégevand Tout ce qui est beau, dont le héros est Mozart : dernier volet d'une trilogie (Flammarion) sur le processus création-(auto)destruction, les deux premiers étant consacrés au poète Roger-Gilbert Lecomte et à Henri de Toulouse-Lautrec. Avec la comédienne Nathalie Vinot le 6 octobre, avec l'auteur lui-même le 9, et dans les deux cas Yasuko Uyama-Bouvard au clavier de son splendide pianoforte signé Christopher Clarke – premiers mouvements des Sonates en sol majeur K. 283 et en la mineur K. 310, cette dernière, parisienne, évoquée dans le roman, après lecture de l'auteur.

 

Sylvie Moquet, Claire Antonini, Monique Zanetti © Christophe Sevin
 
Les deux derniers concerts en soirée étaient dédiés à des aspects radicalement différents du baroque français. Précédé au Théâtre d'un avant-scène réunissant Monique Zanetti et Jean-Marc Andrieu, celui du vendredi, en l'église Saint-Joseph de l'ancien collège jésuite, réunissait, autour de la soprano, Claire Antonini au théorbe, Sylvie Moquet à la viole de gambe et Dominique Serve à l'orgue positif. Deux œuvres vocales enserraient des pages instrumentales très diverses confiées à chacun des solistes : Chaconne de Monsieur de Sainte-Colombe pour la viole, pièces pour théorbe, dont le Tombeau de Monsieur Blancrocher, de François Dufaut, un Prélude pour viole avec orgue de Marin Marais (dont une superbe section en échos dynamiques), altière Passacaille de Louis Couperin pour clavier. Les œuvres vocales offraient un aperçu saisissant de l'évolution du genre des Leçons de ténèbres.

D'abord sous la plume de Michel Lambert (beau-père de Lully), célèbre pour ses airs de cour avec doubles (vocalises et mélismes ornementaux sophistiqués) dont ses propres Leçons découlent en partie, une Troisième leçon du mercredi de toute beauté dans l'interprétation inspirée et tenue de Monique Zanetti, toute souplesse et longueur de souffle pour des phrases d'un équilibre parfait. L'interprète, lors de l'avant-scène, évoquait un caractère « planant » proche des râga indiens, sa propre conception de la musique de Lambert évoluant lors de chaque remise sur le métier – « simple » proposition, en termes de perception et de restitution, dans un univers mouvant.

La seconde œuvre vocale, et terminale du concert, était la Première leçon du mercredi de François Couperin, un autre monde : musique infiniment plus théâtrale, au sens d'un théâtre sacré, rehaussée d'un récit proprement dramatique et d'une grande diversité d'affects permettant, et exigeant de l'interprète, un déploiement vocal impressionnant. Le « décor » consistait en un grand chandelier de forme pyramidale dont les quinze cierges étaient mouchés par les musiciens au fur et à mesure de la soirée : les apôtres (sans Judas), les trois Marie – le dernier cierge restant allumé, à l'image du Christ, sur l'ultime section de Couperin, Jerusalem convertere ad Dominum deum tuum.
 

Yasuko Uyama-Bouvard © Jean-Jacques Boyer

Un tout autre climat attendait le public lors du concert de clôture proprement dit (avant le spectacle pour enfants autour des Fables de La Fontaine et le Bal baroque du lendemain dimanche), programme que l'on imagine épuisant pour les valeureux musiciens des Passions – Orchestre baroque de Montauban en formation généreusement déployée : tout l'éventail des cordes (dessus avec sourdine dans d'impalpables scènes de sommeil) ; flûtes (et piccolos allègres du plus bel effet), hautbois et bassons par deux ; continuo : Yasuko Uyama-Bouvard au clavecin ; timbales et accessoires de percussions. Entièrement dévolu à des pages instrumentales d'opéras de Jean-Philippe Rameau, le programme consistait en cinq Suites de danses issues d'Hippolyte et Aricie, Dardanus, Les fêtes d'Hébé, Platée et Les Indes galantes, dans des arrangements d'époque à cinq parties précisément instrumentées (manuscrit conservé à la Bibliothèque de l'Arsenal). Avec, comme souligné par Jean-Marc Andrieu, chef et fondateur des Passions, cette caractéristique spécifique de l'orchestre français d'alors : les bassons jouant avec aplomb et une virevoltante justesse dans les aigus. Soit quarante pièces ! Répétitif ? Pas le moins du monde, tant cette musique génialement et inventivement virtuose, à tous égards marquante – sur les plan mélodique, rythmique, harmonique, et plus encore, peut-être, celui des contrastes opérant entre ces dimensions si puissamment diversifiées chez Rameau – se renouvelle sans cesse. L'alternance entre énergie et poésie y fut constante, la première donnant aux pieds des auditeurs des velléités de ballet assouvies dès le lendemain.
 
L'avant-scène de cette soirée Rameau, Jean-Marc Andrieu dialoguant avec Gilone Gaubert, premier violon de la formation pour cette production, portait sur le rôle du premier violon d'un orchestre baroque, rôle que l'on put vérifier et intensément ressentir grandeur nature in situ. À noter, sur le plan de l'alchimie des timbres, la très étonnante fusion des cordes, flûtes et hautbois, ces derniers réunis conférant aux cordes un grain tour à tour délicieusement ou vigoureusement mordant rappelant les mutations d'un orgue classique, par moments presque un cornet, gorgées d'harmoniques timbrant et tonifiant les lignes de force de la musique, au gré des mille nuances et contrastes, de dynamique et de caractère, sollicités par la palette de ces pièces au demeurant d'une parfaite concision. À l'issue de l'ultime page – Danse du Grand Calumet de la Paix, exécutée par les sauvages – une ovation ô combien méritée fut prestement récompensée d'un bis redisant le génie incomparablement novateur de Rameau : Contredanse en rondeau refermant l'Acte I des Boréades.
 
Michel Roubinet

Festival Passions baroques de Montauban (Tarn-et-Garonne), concerts des 8 et 9 octobre 2021
www.les-passions.fr/fr/actualite-festival-passions-baroques/
Programme en ligne de l'édition 2021
fr.calameo.com/read/00440020126ea6e39e412
 
 
(1) Festival Passions baroques – édition 2020
www.concertclassic.com/article/6e-festival-passions-baroques-de-montauban-aux-rives-du-baroque-compte-rendu
 
(2) Musée Ingres Bourdelle – splendide exposition Ferdinand Philippe d’Orléans (1810-1842). Images du Prince idéal, en partenariat avec le Musée du Louvre (jusqu'au 24 octobre).
museeingresbourdelle.com
 
(3) Festival Lettres d’Automne, 15-28 novembre 2021
https://www.confluences.org
 
Photo © Jacques Ader

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