Journal
Festival Ravel de Saint-Jean-de-Luz – Passage de témoin – Compte-rendu
L’Académie Internationale de Musique Maurice Ravel et le festival Musique en Côte Basque ont décidé d’unir leurs forces l’an dernier, devenant le Festival Ravel en vue d’offrir au public une programmation ouverte confiée à Jean-François Heisser, directeur artistique. Des concerts de prestige sont donnés dans différents lieux du Pays Basque, et de jeunes interprètes de l’Académie qui suivent dans la journée des master-classes sont invités ensuite à se produire avec leurs professeurs.
Jean-François Heisser © T. Chapuzot
Pour la session 2018, l’équipe pédagogique se partage entre le violoniste Philippe Graffin, la pianiste Marie-Josèphe Jude, le violoncelliste Jérôme Pernoo, l’altiste Miguel Da Silva et Valentin Erben (violoncelliste du célèbre Quatuor Alban Berg) pour la musique de chambre. En outre, en vue de la représentation de Véronique de Messager proposée au festival, un atelier vocal est animé par Sabine Vatin et le metteur en scène Vincent Vittoz. L’Auditorium Ravel de Saint-Jean-de-Luz qui jouit d’une vue imprenable sur l’Atlantique connaît durant une quinzaine de jours une agitation incessante face à un auditoire assidu et fidèle.
Parmi les enseignants, Jérôme Pernoo se distingue tout particulièrement par sa faculté à rendre compréhensible avec force métaphores et références poétiques (sans négliger l’aspect purement technique) l’alpha et l’oméga des œuvres présentées par les stagiaires. Anastasia Kobekina (24 ans) domine avec aisance le premier mouvement du Concerto n°1 de Chostakovitch, et Caroline Sypniewski (également membre d’un Trio constitué avec ses sœurs (une formation remarquée en début d’été à Paris au Festival Européen Jeunes Talents(1)) fait preuve d’une belle assurance dans le triptyque Les Chants de l’Agartha de Guillaume Connesson. Echanges fructueux de Marie-Josèphe Jude avec le pianiste chinois He Shi (23 ans) qui peaufine ainsi sa conception trop littérale des Klavierstücke op.118 de Brahms. Dans le tragique mouvement lent « La Jeune fille et la mort », le tout féminin Quatuor Akhtamar bénéficie de l’expérience transmise par Valentin Erben, détenteur des clefs de l’esprit viennois.
A l'Auditorium Ravel © DR
Les concerts, copieux, témoignent du même approfondissement et de la même qualité. Devant le superbe retable en bois doré de l’Eglise Saint-Jean-Baptiste de Saint-Jean-de-Luz (qui scella en 1660 l’union de Louis XIV et de Marie-Thérèse d’Espagne), l’esprit de famille plane dans l’interprétation structurée de la Fantaisie pour piano à 4 mains de Schubert par le Duo Jude/Heisser. Tout aussi fusionnel, le Quatuor n°1 pour piano et cordes op.47 de Schumann atteint des sommets d’intensité romantique sous les archets de la jeune violoniste Clémence de Forceville, Miguel Da Silva et Jérôme Pernoo, soutenus par le clavier complice de Jean-François Heisser. Le Concert pour piano, violon et quatuor à cordes de Chausson est joué avec générosité et parfois sur le fil du rasoir (la sensibilité à fleur de peau de Philippe Graffin n’est pas sans risque), mais la puissance sonore et la virtuosité de Marie-Josèphe Jude assurent une cohérence à l’ensemble avec la complicité de l’excellent Quatuor Ernest (photo, fondé en 2013).
Le lendemain, dans le même Auditorium bondé, les jeunes talents de l’Académie rendent compte du résultat de leur travail. La Sonate pour violoncelle de Crumb brille de tous ses feux grâce à l’engagement de Jean-Baptiste Maizières (20 ans) doté d’une intelligence musicale impressionnante et techniquement parfait. Un nom à retenir ! Clémence de Forceville ne fait qu’une bouchée de la pièce pour violon seul Anthèmes 1 de Boulez pourtant si semée d’embûches, et le Quatuor féminin Akhtamar manifeste un enthousiasme juvénile dans le Quatuor à cordes n°2 de Roger Boutry qui lui est dédié. Enfin, Charles Heisser fournit une lecture très fouillée de l’Etude « pour la troisième pédale » de Maurice Ohana (qui fut président de l'Académie Ravel de 1990 à 1992), le Trio Calyx excelle dans la restitution des climats du Trio à cordes op.58 de Roussel, tandis que les pianistes Diana Cooper et Eve-Melody Salom rendent tout son piquant à España de Chabrier. Le public est conquis.
Michel Le Naour
(1) www.concertclassic.com/article/le-trio-sypniewski-et-alexandre-kantorow-au-festival-europeen-jeunes-talents-orage-et
Saint-Jean-de-Luz, Eglise Saint-Jean-Baptiste et Auditorium Ravel – 3, 4 et 5 septembre, jusqu’au 16 septembre 2018 // festivalravel.fr/
Photo @ quatuorernest.com
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