Journal
Fontainebleau - Compte-rendu - Le Roi Leon, récital de Leon Fleisher
Pour les 5e Rencontres Musicales ProQuartet de Fontainebleau, épilogue en forme d’hommage – bien mérité – à Leon Fleisher, que ses nombreux disciples surnomment affectueusement « the Obi-Wan Kenobi of the piano ». Morceaux choisis du sage : « Les doigts ne sont pas des marteaux, ils doivent être comme des nageoires de dauphin » ou « La musique est une force horizontale qui se déroule dans le temps », cité par Hélène Grimaud. Pour aborder le Bach de Sheep May Safely Graze (dans la transcription d’Egon Petri), le pianiste américain écarte d’emblée toute mièvrerie, laissant s’épanouir les gradations des voix intermédiaires pour une manière de progression marmoréenne et irrésistible quand d’autres se contentent de papillonner des cils dans la mélodie.
Changement d’ambiance lors du programme de compositions américaines pour la main gauche. Malgré les efforts de Fleisher, les laborieux Messages I de Dina Koston ne convaincront guère plus que les clusters arpégés de George Perle (Musical Offerings). En revanche, Leon Kirchner esquisse avec Music pour main gauche (1998) un savoureux été indien du post-romantisme : sonorités alanguies lorgnant le premier Scriabine dans ces trois mouvements composés pour les soixante-dix ans de Fleisher, qui en livrait ici la création française. Pour clore le sujet transatlantique, un Roger Sessions proposera les sympathiques vignettes de From my diary, nourries d’une motorique bartokienne plutôt rafraîchissante.
Dans la Chaconne de Bach (la judicieuse transcription de Brahms pour main gauche), le geste de Fleisher sera résolument violonistique, au risque d’être parfois caricatural en arpégeant à la vitesse de la lumière, plutôt que de s’appesantir sur chaque accord comme on le ferait dans un Busoni trop pompeux. Volontiers nerveuse, plus attentive à la cambrure des phrases qu’aux nervures polyphoniques, la vision du pianiste est celle d’un minutieux crescendo, privant malheureusement de chair et d’intensité le cœur même de la pièce.
C’est dans la dernière Sonate de Schubert que s’abandonnera le Roi Leon. Superbement hagard et désabusé dans un Andante au noble tempo richterien qui sera distillé note à note et sans pédalisation cosmétique, éploré comme rarement et fuyant pourtant le pathos, comme si chaque phrase devait être la dernière. Voire… Le Scherzo, plus sarcastique que sautillant, semble éprouver les doigts du maître qui flanchera franchement dans l’Allegro final. Mais qu’importe le flacon…
Nicolas Baron
5e Rencontres Musicales ProQuartet de Fontainebleau, le 19 juin 2004.
Photo: DR
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