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François-René Duchâble : "Je suis en accord avec moi-même"

INTERVIEW Il a deux ans, François-René Duchâble mettait un terme à la "carrière" telle qu'on l'entend généralement pour vivre la musique d'une manière conforme à ses vœux. "Départ à la retraite", a-t-on parfois écrit au sujet d'un artiste qui annonçait pourtant clairement la nouvelle voie qu'il empruntait. Quant aux petites entorses à la règle - qui ont pu lui valoir les foudres de certains - elles n'ont eu pour motivation que la profonde fidélité du pianiste envers des partenaires de très longue date.

Les apparitions de François-René Duchâble en compagnie du comédien Alain Carré seront nombreuses cet été. Dans un futur très proche, notez un spectacle autour de Gérard de Nerval, "Mes Chimères", à Biot (17 juin) et aux Fêtes Romantiques de Nohant (18 juin).
Le jeune public n'a pas été oublié : les 25 et 26 juin, le pianiste et le comédien interprètent "L'Enfant Orchestre", un spectacle musical de Jean-Louis Agobet proposé dans le cadre du 150ème anniversaire de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg.

Alain Cochard : "N'avez-vous pas eu le sentiment d'avoir été mal compris, voire trahi par certains commentateurs qui ont évoqué un prétendu "départ à la retraite ? "

François-René Duchâble : "Mes choix ont sans doute parfois fait l'objet d'interprétations erronées, de commentaires en décalage avec la réalité, mais je dois dire que les articles de fond qui ont été publiés dans les revues musicales - et que j'avais contrôlés - étaient extrêmement précis. Maintenant, ils n'ont pas forcément été lus en profondeur… J'annonçais pourtant très clairement tout ce que je fais aujourd'hui. Je n'ai jamais dis que j'arrêtais de jouer ou je ne sais quoi, mais que j'arrêtais la carrière telle qu'on l'entend habituellement. Je n'ai peut-être pas assez insisté là-dessus mais, avec le recul, je me rends compte que "la" principale raison de mon rejet du système de carrière était le besoin de rompre de manière définitive et totale avec la carrière internationale - une chose que je n'avais jamais acceptée au fond de moi-même parce que je détestais les voyages.

Le côté international est donc désormais totalement exclu, à l'exception de l'Allemagne l'année prochaine, à Leverkusen, pour un spectacle avec comédien dans le cadre de l'année Schumann. J'ai d'ailleurs participé en novembre 2003 à plusieurs concerts (dont deux sous la baguette de Michel Plasson) à Leverkusen, chez Bayer (le sponsor des DVD des concertos de Beethoven avec l'EOP). J'avais annoncé ces concerts et je ne pouvais les refuser, en raison de la très longue amitié qui m'unit à l'organisateur, M. Kerkenrat. Je l'ai rencontré en 1988 et il a été à l'origine de ma première intégrale des concertos de Beethoven - en deux soirées consécutives !

Sinon, je m'interdis dorénavant de jouer sur toute scène traditionnelle que ce soit, sauf dans des cas très particuliers et des formules inhabituelles : des hommages, des anniversaires, etc. Ca m'amuse maintenant, je ne vois pas pourquoi je vais m'en priver ! Je serai par exemple présent au 30ème anniversaire des Concerts du dimanche matin, le 2 octobre prochain, en musique de chambre dans du Dvorak.

A. C. : L'orientation que vous avez prise vous a-t-elle permis de dégager du temps, pour engranger du nouveau répertoire par exemple ?

F.R. D. : Pas tellement car je ne suis pas passionné par l'apprentissage de nouvelles œuvres ; je vis en grande partie sur mes acquis. Il est vrai que j'ai monté de courtes pièces pour les besoins des spectacles avec comédien, mais je n'ai pas un amour du travail tel que je vais m'attaquer à l'Opus 106 ou à des Scriabine. J'avais c'est vrai dit à la presse que j'allais me consacrer à la découverte d'œuvres nouvelles. Je parlais surtout sur un plan personnel et pas dans le but de les interpréter en public.
Le fait de partager la musique n'a jamais été essentiel pour moi. Ce qui compte aujourd'hui, après cette réconciliation avec moi-même - difficile à réaliser mais qui se réalise -, c'est de vivre la communion avec le public grâce à des éléments extra-musicaux. Le musique pure ne m'intéresse pas, à l'exception des nombreuses actions sociales que j'effectue dans des prisons, des hôpitaux, des lieux décalés. J'y vais gratuitement et je diffuse de la musique à de petits groupes, d'où j'exclus totalement les "connaisseurs", les étudiants des conservatoires, même les organisateurs. Je ne veux pas de présence du monde musical, encore moins des journalistes. Lorsque je l'accepterai, ce sera pour montrer ce travail ; les images seront très sélectives, il ne s'agira pas de faire pleurer dans les chaumières !

A. C. : La formule du spectacle musical et poétique, avec le comédien Alain Carré en particulier, vous occupe désormais beaucoup…

F.R. D. : En effet, et ce n'est pas un refuge, le résultat d'une forme d'usure - ce qui est le cas pour certains collègues, je me permets de le penser.
Alain Carré souhaitait travailler avec moi depuis longtemps déjà lorsqu'il y a une dizaine d'années nous avons commencé, à Annecy, avec un spectacle intitulé "L'Oiseau prophète", que nous avons redonné par la suite en un certains nombre d'endroits, chez Jeanine Roze au Châtelet entre autres.

Ces spectacles exigent des prises de risques considérables, il posent des problèmes d'amplification, de sonorisation, les pianos sont souvent moins bons, mais je fais ce qui me plait, je suis en accord avec moi-même. Alain Carré et moi nous nous connaissons depuis dix ans et nous vivons ces moments comme de la musique de chambre, avec un rythme commun. Nous ne cherchons pas un accord chronologique entre les textes et la musique, mais d'abord une force, une énergie, un naturel dans la manière d'amener les enchaînements. On obtient dans ces spectacles une attention du public, une qualité de silence que l'on ne trouve jamais dans un récital traditionnel et ça me procure une joie immense. C'est aussi l'occasion de "prendre par la main" des auditeurs non initiés au classique et de les amener à découvrir cette musique.

Pour la liste des spectacles d'Alain Carré et François-René Duchâble voir : http://www.lisiere.com/carre/agenda.htm

A. C. : Outre de nombreuses apparitions aux côtés d'Alain Carré, on vous entendra également en juillet sous la baguette de Marek Janowski à Monte Carlo…

F.R. D. : J'ai en effet accepté de venir gratuitement à Monte Carlo, car si j'ai un regret aujourd'hui dans ma nouvelle orientation c'est de ne plus jouer avec certains chefs. Marek Janowski en fait partie et j'ai eu envie de vivre un moment de musique à ses côtés, sous les étoiles, au palais princier. Mon côté provocateur, mon goût pour le décalage s'exprime là : moi le pianiste des banlieues, des campagnes, le pianiste vicinal, l'animateur qui n'hésite pas à mélanger Schumann et Piaf, je vais me retrouver dans les circuits où normalement on fait appel à Grimaud, Perahia ou je ne sais qui - seulement eux n'auraient sans doute pas été gratuits !

Faire de la musique avec Janowski, jouer sous les étoiles, vivre un moment de décalage : voilà mes motivations. Quitte à m'attirer les foudres de certains… Qu'ils le fassent, je suis en accord avec moi-même puisque je m'amuse. Et puis parce je n'ai aucune leçon de morale à recevoir, d'abord parce que je le fais gratuitement, ensuite parce que je fais énormément de gratuité par ailleurs. Même si j'étais payé et très bien payé, ce qui n'est malheureusement pas le cas, c'est en participant à un concert tel que celui-là que je trouve l'énergie de partager la musique d'une autre manière."

Interview réalisée par Alain Cochard.

Photos : DR
 

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