Journal
Gala des Ecoles de danse du XXIe siècle au Palais Garnier – Impérissable jeunesse de la danse – Compte-rendu
Bonne nouvelle : à l’heure des fanatismes, des bombes et de l’ensauvagement, le ballet classique résiste. Quelle plus inattendue barrière de défense que ces jeunes du monde entier, qui offrent leur beauté, leur travail, leur passion à la survie de cet art ineffable. Un art souvent décrié pour son caractère artificiel : mais Racine est-il l’évidence de la langue spontanée, l’archet en bois de Pernambouc est- il poussé tout seul ? Certes non ! Et il est salutaire de se battre pour faire d’un corps aux aptitudes multiples mais souvent insoupçonnées, un moyen de parvenir au mariage expressif de lignes, d’élans d’autant plus parlants qu’ils sont contrôlés, de grâce jaillie de la lourdeur, pics émergés du chaos et qui disent si bien notre vérité. Car si beaucoup de chorégraphies contemporaines ramènent l’expression dansée à des piétinements et à des errances paléolithiques, mâtinées de la poisseuse bouillie urbaine d’aujourd’hui, on peut rappeler que l’homme de Cro-Magnon, dès qu’il a pu, a créé Chauvet…
Elisabeth Platel © Francette Levieux - Opéra national de Paris
Donc, appelés par Elisabeth Platel, gardienne inspirée du temple de Nanterre, où poussent les plantes de l’Ecole de Danse (lire l’ITV (1) ) ils sont donc venus de San Francisco, Copenhague, Londres, Amsterdam, Hambourg, Toronto et Milan, choisis au sein de leurs Ecoles institutionnelles, pour composer un bouquet dans un vase unique, celui du plateau de Garnier, qui, pour ces jeunes, est auréolé d’un prestige unique, comme doivent l’être ceux du Bolchoï et du Mariinski, si lointains aujourd’hui, hélas.
L’idée de montrer combien le ballet classique peut traduire de messages , de rêves, de réalités plus ou moins dures, en restant fidèle à lui-même est une preuve d’unicité dans la diversité absolument ébouriffante, car la danse n’est pas écrite sur des portées, son essence est donc plus difficile à garder intacte. Le projet était superbe, la réalisation l’a été plus encore, devant une salle survoltée, applaudissant à tout rompre, piaffant et se réjouissant. Lancée par Mavis Staines à Toronto et épousée par Platel, l’idée était donc, non de montrer des personnalités saillantes, comme en un gala d’étoiles, mais de faire comprendre au public les nuances infinies dans l’art de lancer l’arabesque, de tenir la tête, de la marier aux ports de bras, de faire parler les sauts au lieu de les exécuter : quoi de plus opposé, par exemple que les bonds ramassés d’un Neumeier, les élévations au cordeau d’un Bournonville et les envolées virtuoses d’un Ashton ? Avec des moyens apparentés, ils traduisent des états d’âme, ou des moments d’époques, et sont une sorte de leçon de choses pour appréhender ce qu’on appelle le style, quel que soit le physique de ceux qui y tendent.
Les Forains ( chor. R. Petit) © Svetlana Loboff – Opéra national de Paris
Le style français, donc, avait déjà été mis en valeur lors du spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra, avec trois ballets que Nanterre possède à son répertoire et qui montrent la rigueur et l’élégance que les jeunes danseurs y acquièrent. De Suite en Blanc, dû au plus français des Russes, Serge Lifar, la finesse des enchaînements, les légers contrastes ou alanguissements, la virtuosité sans tapage, avaient montré de solides talents, après que les touchants Forains de Roland Petit aient affirmé le goût du spectacle des jeunes artistes, avec notamment le très scénique Martin Paul et l’adorable et prometteuse gamine Lalie Joseph-Singamalum, encore en 6e division ! Phrases chorégraphiques bien tracées, encadrant le plus brumeux Un Ballo de Jiri Kylián (photo), fait pour suggérer et porté par un Ravel mélancolique.
Suite en Blanc (chor. Lifar) © Svetlana Loboff – Opéra national de Paris
Puis ont défilé, avec chacun une identité marquée et parfois éblouissante, les poétiques interprètes de Danse sacrée et Danse profane, venus de San Francisco, se promenant délicieusement dans les pastels debussystes sur une chorégraphie de Dana Genshaft, puis l’étincelante Kermesse à Bruges, de Bournonville, venue de Copenhague, où la succession impeccable d’entrechats et petits pas enlevés faisait ressortir l’équilibre des forces plus que leur caractère spectaculaire: écriture extrêmement difficile, peu accrocheuse, et qu’il est bon de garder pour la tenue qu’elle impose. Vint ensuite la pièce vedette de la soirée, car faire danser Rhapsodie d’Ashton sur Rachmaninov par des jeunes gens non encore inclus dans une compagnie semblait un pari fou : avec des bondissements, des pirouettes incroyables, et un charisme d’étoiles, le trio londonien, composé de Rebecca Stewart, Ravi Cannonier-Walter et Emile Gooding fut éblouissant, et la salle s’est enflammée en les contemplant.. Ce qui a d’ailleurs permie de mesurer une fois encore l’extraordinaire capacité de renouvellement de Frédérick Ashton, l’un des plus grands chorégraphes du XXe siècle. Les Cinq Tangos de Hans van Manen, sur Piazzola, dansés par les hollandais, ainsi que Lay Dances par les canadiens de Toronto furent savoureux, et glamoureux.
Un Ballo (chor. J. Kylian) © Svetlana Loboff – Opéra national de Paris
Mais quel contraste entre la finesse juvénile de Yondering de Neumeier, sur les émois adolescents et les merveilleuses mélodies de Stephen Collins Foster (1826-1864) – enregistrées par Thomas Hampson – une pensée faite mouvement et traduite avec une indicible fraîcheur par Yun Li, Igor Genovesi et quelques autres hambourgeois, et le fantastique duo, tout de souplesse féline, venu de la Scala de Milan et imaginé par Demis Volpi sur Les Saisons de Vivaldi, que le couple Chiara Ferraioli et Bruno Garibaldi a imposé comme une série d’éléments naturels déchaînés ou apaisés. Une danse organique, d’autant bien venue, que Volpi, peu connu en Europe, aura bientôt la lourde tâche de succéder à John Neumeier à la tête du Ballet de Hambourg.
Puis la France a repris la donne dans ce jeu de cartes qui ne devait rien au hasard, Kylián et son Un Ballo ont remis Ravel en scène, et le défilé des Ecoles, moment jouissif, a rassemblé sur scène ce sublimé de beauté, venu nous assaillir en rafale. Soirée inoubliable, menée baguette battante par Philip Ellis avec l’orchestre de l’Opéra, pour la partie Ecole de Danse française, et Yannis Pouspourikas pour les Ecoles étrangères, avec l’orchestre des Lauréats du Conservatoire.
Jacqueline Thuilleux
(1) www.concertclassic.com/article/une-interview-delisabeth-platel-directrice-de-lecole-de-danse-de-lopera-de-paris-notr
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Gala des Ecoles de Danse du XXIe siècle, 17 avril 2024
Photo © Svetlana Loboff – Opéra national de Paris
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