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Giselle au Palais Garnier - Les fantômes des Willis – Compte-rendu

Pure image des rêves romantiques, Giselle est un trésor, dont la touchante beauté, la fine problématique, les oppositions dramatiques, servies par un merveilleux graphisme gestuel, peuvent encore parler à nos sensibilités blasées. Encore faut-il le désensabler, comme le pharaon Thoutmosis IV le fit pour le sphinx de Gizeh, que le temps engloutissait ! Et on a vu récemment avec le Ballet du Capitole de Toulouse comment, en respectant l’essentiel de l’original mais en en modifiant légèrement la forme, on pouvait donner à ce ballet une valeur d’émotion toujours aussi vive, et ce grâce à Kader Belarbi qui opéra ce miracle.
 
A l’Opéra de Paris, point ne serait besoin de tant d’efforts pour garder au chef-d’œuvre de Perrot et Coralli sa force expressive et sa valeur stylistique : le corps de ballet y est rompu aux arabesques romantiques, il s’y trouve de nombreuses étoiles, qui bien dirigées faute d’être inspirées, pourraient faire encore vibrer. Et pourtant, cette Giselle reste lette morte : n’y a-t-il plus personne pour lui insuffler la grâce ? Sans doute l’Opéra paie-t-il, dans ce délicat travail de résurrection d’un ton devenu lointain, le prix des troubles qui l’ont agité récemment, bien plus que pour quelque chorégraphie contemporaine où les références sont moins nombreuses et où tout est à inventer.  
Dans la version légèrement remaniée par Patrice Bart et Eugène Polyakov en 1991, on a donc pu voir défiler plusieurs étoiles de l’Opéra, et notamment la jolie Almandine Albisson, sans que le miracle se produise vraiment : celui d’un double rôle, très difficile, où l’héroïne, de jeune et fraîche paysanne dupée par la frivolité d’un  jeune amoureux inconscient, ce qui exige une chorégraphie pimpante et légère, se transforme ensuite en fantôme rédempteur par la grâce du pardon qui dépasse les formes terrestres ou spirituelles, et se doit là de développer une intensité aussi puissante que contenue. La tradition en a laissé des traces brûlantes avec des figures aussi disparates que celles de Monique Loudières, Aurélie Dupont, ou l’incroyable Isabelle Guérin qui savait tordre le cou à son tempérament de feu et son physique provocant pour se glisser dans ces deux facettes du rôle, sacrifiant sa propre personnalité à l’essence de son art. Inoubliable, mais bien oublié !
Certes Dorothée Gilbert, dont on ne discutera pas la solide technique notamment pour d’admirable petites menées, distille de belles arabesques profilées, certes son physique caverneux la prédispose, dans les lumières nocturnes, à jouer les fantômes, mais que son premier acte, si dur, si composé, laisse froid, et que l’absence de grâce, de douleur, manque à sa silhouette immaculée dans le second. Tandis que la Reine des willis, Myrtha, à laquelle elle s’oppose, n’a plus rien de la hauteur glaciale de quelques images inscrites dans la légende de la danse, une Letestu notamment. Elle semble juste laborieuse. Sans doute Valentine Colasante a telle d’autres cordes à son arc, lesquelles lui ont valu sa nomination de première danseuse, mais là, elle n’est guère à sa place, pas plus que la Bathilde du 1er acte, incarnée par une Stéphanie Romberg si quotidienne et effrontée qu’elle semble une caricature du rôle. Quant au corps de ballet, propre et sans vie, il faisait sagement ces pas qui demandent un bel investissement, aussi bien pour leur donner vie au 1er acte, que pour les nimber d’immatérialité au second.
 
On retiendra cependant la jolie intervention du couple François Alu - Lydie Vareilhes dans le tonique et fruité Pas de deux des vendangeurs, où la grâce de la fine danseuse faisait écho aux bonds phénoménaux du danseur, par ailleurs peu stylés. Ainsi que la présence émouvante de Vincent Chaillet en Hilarion, fruste et déchiré.
 
Heureusement, Giselle a un prince, rôle que peuvent endosser peu d’étoiles de l’Opéra à ce jour, à l’exception de Mathieu Ganio et d’Hervé Moreau. La direction avait donc eu l’idée heureuse d’inviter une des jeunes vedettes du Royal Ballet, cueilli dans sa Russie natale, le brillantissime Vadim Muntagirov. Silhouette élancée, élévation d’une aisance infinie, petite batterie d’une précision horlogère, tout chez ce danseur dit l’immense suprématie d’une école russe aujourd’hui au meilleur de sa forme. Un fossé les sépare de nos scènes par l’intelligence des ports de bras, la coordination des mouvements, la largeur des parcours, Malheureusement, le rôle  d’Albrecht, qui s’en tient à un peu de pantomime avec trois entrechats au 1er acte, et n’explose que dans la deuxième moitié du deuxième acte avec sa danse de mort face aux willis où le danseur fait valoir sa batterie, est insuffisant pour inscrire sur la scène un danseur qui n’y est pas habitué et n’a aucune connivence avec sa partenaire. On espère le revoir pour l’apprécier à sa juste mesure.
Quant à l’Orchestre des lauréats du Conservatoire, il a fait ce qu’il a pu, cravaché solidement par Koen Kessels, qui le menait à l’abordage. Rien de faux dans les sonorités, rien de juste dans le sentiment et l’interprétation : il est vrai que la musique d’Adam est si fine, malgré son caractère apparemment inoffensif. Comme Schubert, elle demande profondeur et maturité !
Bref les willis sont rentrées dans l’ombre sans nous avoir beaucoup dérangés, et Giselle dans sa tombe !
 
Jacqueline Thuilleux

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Perrot-Coralli/Adam : Giselle - Palais Garnier, 2 juin 2016 ; prochaines représentations, les 7, 8, 10, 11, 13 &14 juin 2016.
www.concertclassic.com/concert/giselle-garnier

Photo © Svetlana Loboff
 
 

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