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Giselle par le Ballet du Capitole aux Chorégies d’Orange 2022 – Le rêve romantique – Compte-rendu
Bien que la danse ait depuis quelque temps fait son entrée sur la scène souveraine, avec la venue du Béjart Ballet Lausanne, et celle des Ballets de Monte Carlo, on se disait que cette année, les immatérielles willis venues de l’univers nordique de Heine, que Théophile Gautier avait repensées pour la scène, en écrivant le livret de Giselle pour sa « dame aux yeux de violette », Carlotta Grisi, serait peut-être perdues sous l’altière statue d’Auguste, et que leur flou vaporeux risquait d’être amoindri par l’énormité du mur de scène et la rigueur du cadre antique. Mais merveille, l’initiative de Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies, fut la bonne. Et d’une grande maison à l’autre, du Capitole toulousain à la scène antique d’Orange, l’osmose fut aussi parfaite qu’inattendue et fascinante, grâce à un habile travail d’adaptation de la scène.
On a déjà dit tout le bien que l’on pensait de la Giselle remodelée en 2015 par Kader Belarbi, directeur du Ballet du Capitole, et de la vitalité qu’il avait su redonner à une œuvre que certains ont le tort de trouver désuète. En fait, il n’y a chez Belarbi aucun jugement, juste le désir de transmettre l’essentiel du patrimoine chorégraphique, en lui retaillant quelques habits neufs. Et Giselle, signé Perrot et Coralli, est un chef-d’œuvre, l’un des rares manifestes romantiques a avoir traversé les siècles depuis sa création en 1841, sans perdre de son extraordinaire pouvoir émotionnel et stylistique, de sa touchante force de frappe. Des diverses interprétations si différentes qui ont marqué son histoire, des françaises aux grandes russes, sans parler de toutes les étoiles mondiales, parmi lesquelles on a envie de garder en premier Chauviré, Pontois, Loudières, Khalfouni, et l’italienne Carla Fracci, vraie plume, l’essentiel s’est transmis, et continue de vibrer.
© Gromelle
Il faut dire que Belarbi a la chance d’avoir su fidéliser une magnifique ballerine, d’origine slave, Natalia de Froberville, qui d’emblée, captive le regard par la beauté de ses lignes, la longueur de ses développés, l’intensité de son jeu, le moelleux de ses sauts et l’incroyable tenue de ses arabesques. Belle, émouvante, étirée comme un rêve au 2e acte après avoir explosé de santé juvénile au premier, elle marque ce rôle double, qui demande à la fois chair et immatérialité, et ce n’est pas le moindre compliment qu’on puisse lui faire. Peut-être un soupçon de mobilité du cou dans ses arabesques penchées lui donnerait- il un peu plus de poésie. Mais c’est là chicane pour cette figure de rêve.
L’essentiel est aussi dans la vigueur du premier mouvement, redynamisé avec tout l’héritage que Belarbi sait admirablement gérer, sans se laisser reprocher le moindre emprunt aux maîtres qui ont façonné son approche des grands rôles. Il fut le prince de la Giselle classique nombre de fois à l’Opéra de Paris, mais aussi le héros de l’inoubliable version de Mats Ek, et ce doublé enrichit sa vision, sa compréhension de l’histoire. Outre un regard pictural – on sait sa passion pour la chose peinte, comme il l’a montré récemment dans son Toulouse Lautrec (1) – qui ajoute à la paysannerie un peu fade du 1er acte traditionnel une verdeur à la Bruegel, il sait diversifier les gestes, les oppositions sociales, lancer les bras en avant puis en arrière en signe de violence, mais sans provocation excessive, imaginer des sabots au lieu de petits chaussons, casser les cous-de-pieds pour plus de rusticité.
© Gromelle
Magnifiques et vigoureux ensembles qu’il fait tourbillonner autour du couple en plein émoi, en retrouvant l’aptitude à l’intense immobilité tandis que la musique s’exalte, comme un Neumeier sait si bien l’utiliser. Et sans jamais que dans ces modifications, le message ne soit faussé. Il est juste élargi, surtout quand des interprètes tels que Philippe Solano jouent aux vendangeurs, dans un éblouissant pas-de- quatre. Tout en gardant le respect des variations sacrées qui ont fait la grâce du personnage de Giselle. Tout s’enchaîne, tout vibre souplement, l’histoire se déroule comme un livre ouvert, dont les pages bondissent.
Plus difficile dans ce cadre, le deuxième acte, tout de blancheur fantomatique, a montré l’excellence des équilibres, la beauté du travail de pointes réalisé sur les danseuses du ballet du Capitole, pourtant d’horizons si divers, car sur 35 artistes, 14 nationalités s’y fondent dans un esprit unique. La nuit étant tombée, elles flottaient comme des mirages, sauf quand la violence de leur vengeance les faisait se transformer en esprits tueurs. Contraste prenant, pour lequel on aurait aimé que la belle reine des Willis, incarnée par Alexandra Surodeeva, sut donner plus de hauteur. Mais dans ce cadre large, où régnait la pénombre, on n’a pas pu sans doute apprécier pleinement la performance de la danseuse, malgré des grands jetés marquants. Et peut-être aussi parce que la bande son, réalisée par le Capitole de Toulouse sous la direction de Luciano di Martino , accusait une force un peu excessive, en regard de la délicatesse des évolutions scéniques, pour dramatiques qu’elles fussent. Une démesure sonore sans doute utile en regard de l’ampleur des gradins, où les spectateurs semblaient eux aussi suspendus, face à ce bouleversant récit. Et combien on regrette que l’Eglise ait pu jeter un temps l’anathème sur la danse, en ressentant à quel point ce ballet a une résonance chrétienne, par la force de l’amour rédempteur, la grandeur du pardon qui permet à un esprit de sauver une âme.
On imagine quel travail cette adaptation a représenté, d’autant que quelques problèmes liés au Covid ont obligé le chorégraphe et la troupe à des modifications de dernière heure, tandis qu’on se sentait de tout cœur avec les quelques personnages de cour garnis de fraises … par une chaleur torride. On espère que le vivifiant Don Quichotte de Belarbi trouvera ici sa place une saison prochaine, car les interprètes y ont des éventails, ce qui est préférable ! Bref, rendre à ce point vivante une œuvre aussi classique, aussi raffinée, exposée dans des lieux qui ont coutume de montrer des spectacles plus grandioses, ce fut un véritable tour de force, et une soirée magique, qui ressemblait à son auteur : généreuse, rigoureuse, ardente, fidèle et novatrice, en un mot, bonne, car tel est Kader Belarbi, que nombre de scènes envient au Capitole de Toulouse.
Jacqueline Thuilleux
(1) www.concertclassic.com/article/toulouse-lautrec-creation-de-kader-belarbi-pour-le-ballet-du-capitole-tres-belles-de-nuit
Théâtre antique d’Orange, le 18 juillet 2022
© Gromelle
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