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Herbstgold Festival Eisenstadt 2024 – Les beautés de l’Arche de Noé – Compte-rendu

 
Fastueux palais où Haydn, demeuré l’âme des lieux, vécut et travailla de longues années (de 1761 à 1790) dans une sorte de servitude dorée, sous la coupe princière des Esterházy, et surtout du plus flamboyant d’entre eux, Nicolas « le Magnifique », le grandiose édifice baroque qui fait la gloire de Eisenstadt (outre plusieurs églises exquises), s’est cette année ouvert un peu plus encore pour abriter les rescapés mélomanes de l’ouragan Boris : poussés par le vent et transpercés par la pluie, ils venaient y trouver le plus beau des refuges, celui d’une musique qui se voulait « acte de séduction », comme le soulignait le directeur du Festival depuis quatre ans, le violoniste autrichien Julian Rachlin. Herbstgold, donc, ainsi se veut cette brillante session musicale qui s’y tient en septembre, mais les feuilles dorées n’étaient pas au rendez vous !
 
Dans le souvenir de Haydn
 
Créées il y a trente ans par Melinda Esterházy (1920-2014), délicieuse ballerine hongroise, et veuve de Paul V (1901-1989), le dernier prince régnant, les fondations Esterházy étendent leurs ailes sur l’ancien domaine de la prestigieuse famille et permettent un fourmillement de projets à la fois patrimoniaux de protection et de réfection, aussi bien dans l’architecture, la sylviculture ou la fameuse viniculture que dans des démarches novatrices, qui prospèrent notamment dans le Burgenland, dont Eisenstadt est la capitale. Et la musique, avec comme génie protecteur le souvenir de Joseph Haydn, n’en est évidemment pas absente, tant son ombre continue de planer sur les orgues où il joua, les salles où il créa ses innombrables œuvres, sans parler de son tombeau, vénéré dans la Bergkirche.

 

© Andreas Tischler
 
Comme un souffle de printemps

 
Tout avait bien commencé, sous un éclatant ciel bleu, avec Saint-Saëns, et une Martha Argerich telle qu’en elle-même, pour un Carnaval des Animaux survolté, en compagnie de sa fille, l’universitaire et comédienne Annie Dutoit-Argerich et du pianiste Iddo Bar-shaï. Puis vint la tempête, et heureusement l’enchanteur Merlin, le toujours formidable Bryn Terfel. Rien pourtant de trop puissant dans son programme mais une sélection de pièces mélodiques pour la plupart en anglais, peu connues du grand public, et qui lui permettaient de donner comme un souffle de printemps à cette étrange soirée volée aux éléments : airs du peu joué Gerald Finzi, grâce évanescente de Debussy, Schubert comme dans un rêve, avec une incursion chez Wagner avec la Romance à l’étoile de Tannhäuser, et pour finir un extrait tapageur du populaire Fiddle on the roof, avec lequel Terfel fera une tournée pour ses 60 ans, et qui le fera passer par le Théâtre des Champs-Elysées. De quoi le changer du méchant Scarpia avec lequel il court le monde à ce jour.
Un fois de plus, tandis que l’accompagnaient deux subtiles musiciennes, Annabel Thwaite, dont le clavier sonne comme une harpe et Hanna Stone, dont la harpe a des vigueurs de clavier, on a été émerveillé par la finesse arachnéenne avec laquelle ce vigoureux personnage sait infléchir sa voix pour la rendre charmeuse et douce, la dompter puis la lancer comme un attelage furieux. Admirable maîtrise technique, artistique et charisme unique.
 

Yefim Bronfman © Andreas Tischler

 
Classicisme lumineux
 
Riche en contrastes, le Festival a ensuite mis en regard deux façons étonnamment opposées d’aborder le clavier : d’abord avec un récital matinal de la pianiste russe, désormais hors de son pays, Polina Osetinskaya, puis le soir grâce au magistral Yefim Bronfman (photo), pas assez entendu en France. Si la première, enchaînant Haydn, Mozart et Schubert d’une même poigne de fer, frappait par sa virtuosité plus que par sa sensibilité, Bronfman lui, avec son toucher si dosé, a donné dans le 3Concerto de Beethoven une leçon de classicisme lumineux, de retenue autant que de volonté d’emmener l’auditeur au-delà de ses limites, de lui faire ressentir la liberté de l’univers musical, tout en gardant son axe. Certes, l'Opus 37 est le plus subtil des Concertos de Beethoven, mais on en prenait ici largement la mesure, d’autant que le Chamber Orchestra or Europe avait ouvert le jeu sur des cordes d’une délicatesse  inouïe, et que Julian Rachlin (photo), aussi bon chef qu’excellent violoniste, mariait la vigueur de l’écriture beethovénienne à l’élégance sans afféterie du pianiste, pour un moment de parfaite harmonie.

 

Janoska Ensemble © Julia Wesely
 
Rachlin à l’archet et à la baguette

 
Choc ensuite, descente dans un autre monde, désespéré celui-là avec la 4e Symphonie de Tchaïkovski, où Rachlin et l’orchestre ont fait montre de leur capacité à passer de l’équilibre au déchaînement des passions, dans une vision violente, mais jamais brutale tant le chef fouillait la partition en en faisant ressortir toutes les interrogations, les rappels joyeux du terroir russe, les moments d’apaisement et les rebonds furieux. Une descente à l’abîme étreignante, qui jetait au cœur des drames d’un homme et faisait s’émerveiller de la force de son langage musical pour leur donner forme. Interprétation d’une rare intelligence, qui a montré le talent de Rachlin à la baguette autant qu’à l’archet. Archet qu’il devait reprendre pour la fin du festival dans le Concerto de Mendelssohn avec le London Philharmonia Orchestra, tandis que le lendemain Gautier Capuçon, l’incontournable, rejoindrait l’esprit des lieux avec le Concerto pour violoncelle n°1 de Haydn, soutenu par le Jerusalem Symphony Orchestra, avec toujours Rachlin au pupitre.
 
Entre temps, d’autres tempêtes ont passé, des 100 Gipsy Violins du Janoska Ensemble, avec leur réjouissante effervescence, à la douloureuse quête des musiques, dites dégénérées par les nazis, de Hindemith ou Stepan Wolpe (1902-1972), reliées par des lectures du prestigieux acteur Karl Markovics, où il ne s’agissait pas de séduire, mais d’alerter, encore et toujours. Une courte session d’une dizaine de jours que ce Festival Herbstgold certes, mais d’une intensité, d’une richesse qui rendent justice à ce haut lieu de la musique et que le public – avec de nombreux visiteurs étrangers lesquels apprécieraient que le programme comporte quelques indications en anglais –, salue avec ferveur, sous les ors et les fresques de la superbe salle Haydn.
 
Jacqueline Thuilleux

 

Voir les prochains concerts "Haydn" <
 
Herbstgold Festival, Palais Esterhazy, Eisenstadt. Les 13 et 14 septembre 2024. www.herbstgold.at
 
Photo © Andreas Tischler

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