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Hippolyte et Aricie à l’Opéra-Comique (Streaming) – Le triomphe des aînés – Compte-rendu
On comprend très bien que cette ancienne comédienne, membre du collectif artistique de la Comédie de Valence et directrice du Théâtre de l’Aquarium depuis 2019, se soit éloignée des reconstitutions historiques, les machineries du théâtre baroque et avec elles leurs délirants décors, n’ayant jamais pu être reproduites avec exactitude. De là à traiter cette tragédie comme la plupart des opéras montés aujourd’hui sur toute la planète, il n’y avait qu’un pas que Jeanne Candel a franchi sans hésiter. Plus de nymphes, ni de bergers, plus de bois consacré, de frais gazon ou de flots agités, mais un hideux décor mi-bunker, mi-construction inachevée (Lisa Navarro) tout de béton et d’acier avec en son centre un ascenseur en état de marche lui, qui pourrait tout aussi bien servir de cadre privilégié à Carmen (comme au Châtelet en 2007 avec Martin Kusej), à Elektra (Marseille Charles Roubaud 2013), à Ariadne auf Naxos (Pelly Paris 2003), ou à Don Giovanni (celui d’Ivo van Hove à Garnier en 2018).
Autre entorse censée créer le grand choc des cultures, le recours à des costumes d’époque pour les Dieux, modernes pour les autres, un procédé vu mille fois qui aujourd’hui tient lieu de tarte à la crème. Aux figurants et choristes l’insigne honneur de revêtir des vêtements de laborantins, combinaisons blanches et bottes de caoutchouc, de baigneurs à têtes carnavalesques, ou des masques de chiens pour évoquer la meute des chasseurs (passons rapidement sur les divinités infernales, transformées ici en techniciennes de surface, blouses en acrylique et fichus compris, venant nettoyer le sang répandu sur les marches du « temple ») ; aux personnages principaux celui d’être vêtus de brocards, ou de costumes cravates pour les habitants des Enfers.
Réduite au strict nécessaire, la mise en scène chétive et convenue ne dépasse pas le stade du scolaire, les moments attendus comme les adieux de Phèdre, la douleur de Thésée ou les retrouvailles d’Hippolyte et d’Aricie, n’étant sauvés que par la musique et l’intensité dramatique déployée par les artistes réunis sur ce projet.
Raphaël Pichon, à la tête de de l’Orchestre et du Chœur Pygmalion, trouve le ton juste, de bout en bout inspiré par une partition mouvante (ici la version remaniée de 1757, sans prologue ni liesse finale), diaboliquement originale dans sa narration, ses descriptions, ses incessants effets de rythmes qui accompagnent les changements de lieux et d’états d’âme. Le trait est vif, la ligne claire et les couleurs éclatantes, le chef se révélant un brillant peintre des émotions et des sentiments. Avec une Phèdre et un Thésée de cette trempe, l’harmonie aurait pu être déséquilibrée car Sylvie Brunet-Grupposo et Stéphane Degout, tous deux en très grande voix, dominent de loin la distribution. Pichon déroule un somptueux tapis sonore sur lequel ils viennent déposer leurs merveilleux instruments, impressionnants de clarté, de rondeur, de projection et d’expressivité, que leurs sublimes interprétations, à force d’être torturées, viennent rehausser. Comment ne pas être bouleversé par l’art déclamatoire de Brunet au moment du « Cruelle mère des amours » (acte 3), ou trembler d’extase devant l’intériorité rentrée de Degout (déjà extraordinaire dans son disque « Enfers » dirigé par Pichon en 2018 chez Harmondia Mundi) lors de l’étreignant « Je frémis quand j’y pense » (acte 3) ?
Forcément moins divin, le couple-vedette relève le défi avec courage et distinction, Elsa Benoit prêtant à Aricie sa belle voix saine et veloutée, Reinoud van Mechelen son timbre naturellement haut et joliment ombré à Hippolyte. Dans le rôle d’Œnone, la suivante de Phèdre, Séraphine Cotrez tire habilement son épingle du jeu, comme la Diane d’Eugénie Lefebvre, entourées par une myriade d’excellents comprimari à commencer par Arnaud Richard, qui remplace Nahuel di Pierro, parfait dans le double rôle de Neptune et de Pluton, Edwin Fardini, remarquable Tisiphone, Constantin Goubet, Martial Pauliat, Virgile Ancely dans les Trois Parques, une mention spéciale allant à Lea Desandre aussi à l’aise en chasseresse, qu’en sirène ou en cycliste (eh oui, la bergère du finale égrène sa douce et mélancolique ariette « Rossignols amoureux » avec vélo et casque ...), au chant radieux et impeccablement conduit.
Un mot encore sur la très belle réalisation en direct effectuée par François Roussillon et ses équipes, et sur la détermination de la direction de l’Opéra-Comique à qui l’on doit cette retransmission sur Arte Concert, alors qu’elle aurait pu ne jamais voir le jour …
François Lesueur
Photo : Reinoud Van Mechelen (Hippolyte), Elsa Benoit (Aricie), Chœur Pygmalion © Stefan Brion
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