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Il viaggio, Dante de Pascal Dusapin à l’Opéra de Paris – Guth-moi ça ! – Compte rendu

À cinq jours d’intervalle, deux productions lyriques parisiennes sont signées Claus Guth. Le metteur en scène allemand aurait-il lui-même voulu ce tir groupé, pour ne passer qu’une semaine à Paris, le temps de participer aux saluts lundi soir à l’Opéra-Comique pour Samson d’après Rameau, et ce vendredi soir à Garnier pour Il viaggio, Dante ? Sans doute pas, et c’est plutôt par une curieuse coïncidence que le microcosme opératique parisien semble se réduire à un seul nom, comme si les directeurs de salle manquaient terriblement d’audace lorsqu’il s’agit de choisir à qui confier une production scénique.

© Bernd Uhlig - OnP
Hasard du calendrier, donc, si deux spectacles, créés à Aix-en-Provence en 2022 et 2024, aboutissent la même semaine sur deux grandes scènes de la capitale. Dans les deux cas, une boucle rétrospective qui permet de raconter l’histoire, celle du héros biblique pour le pasticcio ramiste, celle de La Divine Comédie pour le dernier opéra de Pascal Dusapin. A moins qu’il ne faille dire « opératorio », pour reprendre un terme cher au compositeur. Car c’est là encore la nature du livret qui pose problème. Que Claus Guth reprenne une idée qui avait jadis fait le prix de son Don Giovanni salzbourgeois – puis parisien, puisque cette production créée en Autriche en 2008 a été récemment importé à Bastille – (un homme ensanglanté par une blessure, revisite sa vie peu avant de mourir), qu’importe puisque le résultat convainc théâtralement et contourne l’écueil d’une représentation naturaliste des cercles de l’enfer, puis du purgatoire et du paradis.

Kent Nagano © Sergio Veranes
Non, là où le bât blesse, c’est dans le relatif manque de ressort dramatique de cet « opéra en un prologue et sept tableaux ». Frédéric Boyer a ajouté divers éléments qui devraient relancer l’intérêt : les interventions régulières de sainte Lucie, ou surtout la confrontation entre Dante âgé, mourant, et un Dante jeune, héros du souvenir amoureux évoqué. Hélas, on ne retrouve pas tout à fait ici les qualités de son adaptation de Macbeth pour le précédent opus lyrique de Dusapin, et on pourra trouver ici et là quelques longueurs, alors même que la musique, elle, sait captiver, notamment grâce à la présence en fosse d’un chœur presque aussi fourni que l’orchestre (32 voix contre 40 instruments). Une partition que Kent Nagano qualifie à juste titre de « mélodique vocale directe, lyrique, virtuose », superbement défendue par l’orchestre et le chœur de l’Opéra de Paris (préparé par Alessandro Di Stefano), sous la baguette experte du chef japonais.

© Bernd Uhlig - OnP
Quelques questions se posent aussi au sujet des chanteurs. La distribution n’est qu’en partie celle de la création, et l’on s’étonne de certains choix. Déjà présent à Aix, Dominique Visse s’amuse, et chante presque plus souvent en baryton qu’en contre-ténor (et une fois de plus, on l’a déguisé en femme, sans que cela se justifie vraiment). Jennifer France est une superbe Béatrice, tant sur le plan vocal que scénique, mais l’on s’interroge sur l’attachement du compositeur envers la mezzo Christel Loetzsch, dont il admire les connaissances en italien médiéval et la voix « très singulière, qui monte assez haut et possède des graves incroyables » : ce n’est pas faux, mais le médium est, lui, assourdi et peu distinct.
Parmi les nouveaux, on salue la performance de Danae Kontora qui livre les suraigus de Lucie sans difficulté apparente, ou la densité de David Leigh, austère Virgile. Pour le narrateur, qui parle dans un micro, une basse est requise, et Giovanni Battista Parodi déclame le texte de Dante de manière on ne peut plus convaincante, malgré son costume de présentateur à paillettes. En revanche, à ce stade de sa carrière, la voix de Bo Skovhus n’est guère plus qu’une trame, et il en est réduit à parler plus qu’à chanter le rôle central de Dante.
Laurent Bury

Pascal Dusapin, Il viaggio, Dante – Paris, Palais Garnier, 21 mars ; prochaines représentations les 26, 28 mars, 3, 6 & 9 avril 2025 // www.operadeparis.fr/saison-24-25/opera/il-viaggio-dante
Photo © Bernd Uhlig - OnP
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