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An Index of Metals à la Scala-Paris – L’Odyssée sonore de Fausto Romitelli – Compte rendu

Le son est une « matière à forger », disait volontiers Fausto Romitelli, disparu prématurément en 2004 à 41 ans. La matière sonore de An Index of Metals – œuvre testamentaire du compositeur italien  – est en effet bel et bien forgée devant le spectateur, qui en sort en état de totale sidération, sonné – c’est le cas de le dire ! – au terme d’une bourrasque de cinquante minutes.
 
Cet ouvrage de 2003, devenu mythique dans le milieu de la musique contemporaine, était donné pour la première fois à Paris à la Scala, nouvelle salle pluridisciplinaire et branchée du 10e arrondissement, dont on doit l’audacieuse (et pointue) programmation musicale à Rodolphe Bruneau-Boulmier.

Donatienne Michel-Dansac © Jean Radel
 
A l’origine conçue avec les vidéos de Paolo Pachini (vidéo-opéra pour ensemble, soprano et 3 projections vidéo), l’œuvre ici s’en passe au profit de quelques lumières efficaces et poétiques (signées François Menou), le choix ayant été de tout miser sur une incroyable odyssée sonore, qui, de fait, se suffit amplement à elle-même.
Comme dans la majorité de ses œuvres, Romitelli nous invite au cœur des sons instrumentaux (cordes, cuivres, bois, piano…), sons amplifiés, électroniques, électroacoustiques, synthétiques. Il y mêle une voix de soprano, mystérieuse presque onirique, tantôt déclamée, tantôt susurrée, qui chante comme elle crie ou crie comme elle chante, déformant le texte original de Kenka Lekovich en passant d’une langue à l’autre. Présence bien sûr sur le plateau d’une guitare et d’une basse électriques, signature du compositeur.
On découvre comme autant de saveurs, le grain, l’épaisseur, la porosité, la densité, la brillance, l’élasticité, la puissance et le métal du son. On est immergé dans un mélange anxiogène et acide de musique spectrale (développement par vagues, métamorphoses des sons et des harmonies, du propre au « sale » …) et de vision éphémère et violente puisée dans le rock psychédélique. Musique savante saturée et distordue, sous emprise. Rappelons-nous simplement du Professor Bad Trip I, II, III de Romitelli. An Index of Metals a comme point de départ un accord légendaire des Pink Floyd qui se répète, s’interrompt, mute progressivement jusqu’à saturation.

Julien Leroy © Phuong N'Guyen
 
Les grands modèles de l'artiste italien sont bien sûr Grisey, Ligeti, Boulez, Stockhausen, ses maîtres Franco Donatelli et Hugues Dufourt, ses comparses Murail ou Levinas.
Côté interprètes, on joue dans la même cour. Grande interprète d’Aperghis, Donatienne Michel-Dansac chante aussi bien le répertoire baroque que la musique du XXIe siècle la plus ardue. C’est elle, rappelons-le, qui interprétait le – terrible – Marteau sans Maître de Boulez pour les quatre-vingts dix ans du compositeur. Elle se révèle parfaite ici, apparaissant derrière le brouillard de scène et de fines colonnes de lumières, avec ses collants rouges et sa robe cabaret blanche, comme sortie d’un film de David Lynch (dans la salle bleu nuit de la Scala, comment ne pas penser à Blue Velvet ?).
 
Pierre Boulez a été l’un des principaux soutiens de Julien Leroy à ses débuts. Jeune et brillant chef, assistant à l’Intercontemporain auprès de Susanna Mälki puis de Matthias Pintscher, il est l’actuel directeur musical du Paris Percussion Group (entendu lors du week-end d’inauguration de la Scala en septembre dernier), mais également premier chef invité de l’ensemble luxembourgeois United Instruments of Lucilin, qu’il conduit d'admirable façon pour ce mémorable et fascinant Index of Metals.
 
Gaëlle Le Dantec

Paris, La Scala-Paris,  30 novembre 2018 / www.lascala-paris.com

© Emile Hengen

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