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Interview de la soprano Ana Maria Martinez – Mimi, l’héroïne au grand coeur
La soprano portoricaine Ana Maria Martinez est à nouveau sur la scène de la Bastille pour incarner cette fois son rôle fétiche, celui de Mimi dans La Bohème de Puccini (du 30 novembre au 13 décembre 2014). La cantatrice qui a été applaudie dans Simon Boccanegra, Luisa Miller et Les Contes d’Hoffmann nous a confié les raisons qui la lient à cette héroïne devenue avec le temps aussi proche et indispensable qu’une amie.
Quels sont les éléments les plus importants que doit posséder une soprano pour être une bonne Mimi ?
Ana Maria MARTINEZ : Hum... il s'agit de l'une des héroïnes les plus amoureuses de tous l'Opéra. Elle possède un grand cœur, une immense générosité et se montre très humble. Elle devine tout, ressent les choses comme personne, sans jamais se plaindre, même lorsqu'elle surprend la conversation entre Rodolfo et Marcello au 3ème acte, et réalise qu'elle va mourir, elle ne dit pas « Pauvre de moi, ma vie est finie », non elle accepte, sans sourciller. A la fin de l'ouvrage, lorsqu'elle retrouve autour d'elle tous ceux qu'elle aime, grâce à Musetta qui les a réunis en leur annonçant que sa dernière heure était arrivée, elle est heureuse de voir Rodolfo à ses côtés, le réconforte, salue ses amis, sourit comme si de rien était avant de disparaître. Toutes ces caractéristiques doivent être présentes chez l'interprète. Il faut exprimer tout ce qui est chez elle introspectif. Pour moi Musetta et Mimi sont les deux facettes d'un seul et même personnage. Puccini en tant que représentant de la culture latine exprime très clairement ce que les hommes attendent des femmes : en public elles doivent être comme des madones, mais au lit elles doivent être de vraies femmes. Mimi est à la fois coquette et timide et quand on fait attention à ses propos, ils sont souvent plus profonds que ceux de Rodolfo qui se dit pourtant poète. Il faut donc avoir un grand cœur et donner au public beaucoup d'amour pour être une bonne Mimi.
Est-il facile de revenir à Mimi, de retrouver la bonne voix au bon moment, quand on chante entre deux productions de cet opéra d'autres rôles, comme vous le faites avec Donna Elvira, Carmen ou Rusalka qui n'appartiennent pas au même répertoire ?
A.M.M. : C'est une grande question ! L'avantage que l'on a quand on fréquente un rôle depuis longtemps, c'est qu'on le connaît très précisément, un peu comme un ou une amie de longue date : j'ai des rapports très étroits avec Mimi que je considère comme ma plus ancienne amie. Lorsque je reviens à elle, c'est pourtant toujours différent, surtout quant je viens de chanter Elvira, ou Carmen que j'aime énormément. Ces héroïnes sont uniques, les compositeurs ont leur propre langage musical, mais Mimi m'est vraiment familière. Je dis toujours qu'un jeune chanteur doit pouvoir se mesurer à certains rôles un peu plus difficiles, mais qui restent dans sa vocalité, comme ce fut le cas pour moi avec Pamina, qui m'a permis de vérifier si ma voix était en bonne santé. Puis progressivement il est nécessaire de corser les choses en explorant d'autres répertoires, comme avec un cheval avec lequel vous savez que vous allez pouvoir aller plus loin, tout en le tenant fermement par les rênes. Après Pamina, Elvira m'a aidé à expérimenter d'autres rôles. Ces défis nous conduisent vers des expériences plus fortes comme avec Carmen puis Rusalka, qui m'ont donné l’impression en revenant à Mimi, qu'elle était plus facile que je ne l'imaginais. Quand j'ai chanté Butterfly, qui est un tour de force, j'ai eu à faire face à de nouvelles difficultés que j'ai dû apprendre à contourner, je suis revenue à La Bohème avec plus de sérénité.
Pensez-vous qu'il soit nécessaire d'avoir abordé Musetta pour être une Mimi complète ?
A. M. M : Pas nécessairement ! Pour ce qui me concerne, c'est assez amusant car après avoir chanté Mimi pendant dix-neuf ans, j'interpréterai ma première Musetta la saison prochaine au Met de New York.
De grandes cantatrices du passé comme Tebaldi, Scotto, Freni ou Cotrubas ont conservé Mimi tout au long de leur carrière ; chacun sait que ce personnage est merveilleusement écrit, l'un des meilleurs portraits de « Petite femme » créé par Puccini, mais en réalité est-il facile de trouver de nouveaux aspects à chaque fois, de réinventer en permanence ce rôle ?
A.M.M. : Je pense que l'on doit toujours pouvoir trouver quelque chose de nouveau, ce n'est pas si compliqué, car même s’il s’agit de la reprise d’un spectacle, nous sommes face à d'autres collègues, notre vie personnelle a été modifiée, a subi des changements, des évolutions parfois infimes. Ici à Paris je suis ravie de travailler avec le maestro Mark Elder, qui m'aide en ce sens, en se tenant exclusivement à la partition et qui essaie de lutter contre de mauvaises habitudes, de fausses traditions. Cette approche est très saine car beaucoup d'artistes finissent par accepter ces choses sans rien dire.
Contrairement à votre collègue Nicole Cabell(1), il ne s'agit pas de vos débuts sur la scène de la Bastille, puisque vous y avez déjà chanté Amelia Grimaldi, Luisa Miller et Antonia. Selon vous Mimi est-elle la partition idéale pour débuter sur une scène aussi prestigieuse, et regrettez-vous de ne pas y avoir fait vos premiers pas avec elle, en 2006 ?
A.M.M. : Mimi est un rôle parfait pour débuter sur une grande scène et pour Nicole que j’admire depuis longtemps c'est formidable, quasiment un rêve qui se réalise. Vous vous rendez compte que nous avons la chance de chanter cet opéra à Paris au mois de décembre, exactement comme dans l'histoire. Je ne regrette pas d'avoir débuté sur la scène de la Bastille avec Amelia, un rôle magnifique, que j'abordais pour la première fois.
Vous avez interprété La Bohème dans de nombreux opéras tels que Chicago, Santa Fe, Houston, Berlin, Vienne, Munich et Bruxelles, avant celui de Dallas en mars prochain. Ici à Paris vous jouez dans la production de Jonathan Miller que vous répétez depuis plusieurs jours avec l’ensemble de la distribution. Comment faites-vous et vous sentez-vous lorsque qu’aucun service de répétition scénique n'est prévu, comme cela se pratique à Munich par exemple ?
A.M.M. : Et à Vienne ! Humhum… je conseillerais à celles qui débutent dans ces grandes maisons de le faire avec un rôle qu'elle connaissent bien et qu'elles ont déjà expérimenté auparavant, dans de bonnes conditions. C'est en tout cas ce que j'ai fait et cela a été bénéfique, j'ai pu me concentrer sur la partition, apprendre très vite les grandes lignes de la mise en scène et éviter ainsi une pression supplémentaire. C'est un luxe de pouvoir répéter, il ne faut pas l'oublier.
Dans quelques mois au Festival de Glyndebourne, vous aborderez un nouveau personnage, celui de Poalina dans Poliuto de Donizetti. Pouvez-vous nous en parler ?
A.M.M : C'est nouveau pour moi et j'attendais une telle proposition depuis longtemps. J'aime ce personnage, mais plus que tout je suis folle du bel canto, pour lequel je pense être faite. Je n'ai jusqu'à aujourd'hui pas eu l’opportunité de le prouver, mais je n'aime rien tant que les messe di voci, les crescendo/decrescendo, tout ce qui fait la beauté de cette école de chant que j'ai toujours essayé de glisser dans tous les rôles que j'interprète, qu'il s'agisse d'Elvira, ou de Mimi. Cette approche du chant permet d'exprimer l'intériorité du personnage par un savant jeu de nuances. Je rêve depuis toujours d'aborder Giulietta des Capulets ; pour moi il n'y a rien de plus beau que l'air « Oh quante volte » qui tient le public en alerte, comme « Caro nome » où le temps est suspendu. C'est magique.
Propos recueillis et traduits de l'anglais par François Lesueur, le 27 novembre 2014.
(1) Nicole Cabell tiendra le rôle de Mimi à la Bastille à partir du 15 décembre
Puccini : La Bohème
Du 2 décembre au 30 décembre 2014
Paris - Opéra Bastille
www.concertclassic.com/concert/la-boheme-de-puccini-bastille
Photo © DR
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