Journal
Interview de Yann Beuron
Du baroque au répertoire français, en passant par Offenbach et Mozart, Yann Beuron, ténor lyrique léger, est une voix qui compte. Modeste, travailleur et scrupuleux, il se considère à l’instar de Ludovic Tézier, comme un artisan, qui sculpte les mots, respecte la musique et construit sa carrière à l’ancienne, rôle après rôle, avec fierté et dignité. Rencontre.
Vous chantez actuellement Roméo et Juliette de Berlioz, à l’Opéra Bastille sous l’égide de la chorégraphe Sasha Waltz. Cette expérience n’est pas une première pour vous qui avez déjà côtoyé Trisha Brown dans Orfeo de Monteverdi. Qu’appréciez-vous dans la manière qu’ont les chorégraphes d’appréhender l’univers lyrique ?
Yann Beuron : Il m’est toujours difficile de réponde à cette question, car je ne sais pas, par exemple, quel est le degré d’intimité que ces artistes entretiennent avec la musique, s’ils savent la lire ou pas ? J’aime en tout cas leurs approches, car ils n’ont pas toujours conscience des impératifs auxquels doivent faire face les chanteurs. Le scherzo que j’interprète dans Roméo et Juliette est court, mais si on doit le « danser », il peut y avoir des risques de décalages avec l’orchestre, d’autant que la distance par rapport à la fosse est à prendre en compte. N’ayant pas conscience de ces réalités, les chorégraphes font des propositions, avec beaucoup de gentillesse pour ce qui est de Sasha Waltz dont j’aime particulièrement l’univers, et du coup, ils n’ont aucune inhibition. Etant quelqu’un de coopératif, j’essaie de répondre à leurs attentes, même si je sais qu’il faudra me recadrer car je ne suis pas danseur. J’apprécie l’idée d’être pris pour autre chose qu’un simple chanteur.
Aviez-vous déjà assisté à des spectacles de cette chorégraphe dont le public français a déjà vu Körper, Nobody et Gezeiten au Théâtre de la Ville et à Avignon notamment ? Et cela vous est-il nécessaire avant de travailler avec un metteur en scène ?
Yann Beuron : Non, mais comme je le fais souvent je vais chercher des renseignements sur les artistes avec lesquels je dois me produire. Je n’ai pas une culture chorégraphique très approfondie, mais j’ai vite réalisé que Sasha Waltz était quelqu’un d’important. Je pensais qu’elle était plus âgée, alors que nous sommes de la même génération et quand je l’ai vue arrivé, petit bout de femme énergique, je ne savais pas à quoi m’attendre, au point que lors de notre première réunion de travail je pensais qu’elle allait nous demander de ne pas être intégrés au spectacle, ce qui n’a pas du tout été le cas.
Vous faites partie avec Felicity Lott, Laurent Naouri et François Le Roux, des fidèles de Laurent Pelly : on vous a vu dans Orphée aux Enfers, Platée, La Belle Hélène, La Grande Duchesse de Géroldstein et L’heure espagnole, dans des registres très variés. Plus qu’ailleurs, vous semblez dans votre élément auprès de cette « troupe » : d’où vient cet esprit d’équipe et ce plaisir que vous ressentez et communiquez au public ?
Yann Beuron : J’ai rencontré Laurent à Genève en 1997 et le courant est immédiatement passé. J’ai aimé d’emblée son monde, sa façon d’aborder la scène et de prendre en considération le texte. Il m’a beaucoup aidé car j’avais à cette époque peu d’expérience. Mais attention, n’allez pas imaginer que c’est toujours la gaudriole. Nous travaillons énormément, car tout est millimétré, ce qui peut générer des tensions pour des raisons diverses. Nous ne savons pas toujours où notre travail va nous mener et nous doutons parfois, même si nous savons que l’inspiration de Laurent servira l’œuvre. Il met en valeur les spectacles qu’il traite, car rien n’est laissé au hasard.
Justement quand on est habitué à collaborer avec des artistes exigeants, comment vit-on les expériences où les propositions sont beaucoup moins inspirées ?
Yann Beuron : Je sais aujourd’hui repérer assez vite à qui j’ai affaire, ce qui me permet d’aviser et de prendre des distances. Vous savez, on ne peut pas prendre en charge le fait qu’une production ne soit pas prise en main par un vrai metteur en scène. Notre travail de chanteur occupe heureusement une grande place, alors si je suis triste en scène, je trouve tout de même des expédients pour continuer l’aventure. Ce n’est pas satisfaisant, mais cela nous arrive fréquemment : il faut savoir s’adapter en toutes circonstances.
Vous avez déclaré en 2000, que vous partagiez l’avis d’Alfredo Kraus à savoir que « La scène sert à abîmer la voix ». Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il vous est difficile de vous contrôler et de veiller à ne pas dépasser vos propres limites, alors que le chant n’est que technique et contrôle de soi ? N’est-ce pas paradoxal ?
Yann Beuron : J’ai rencontré Alfredo Kraus peu de temps avant sa mort ; il voulait surtout dire qu’il fallait toujours retravailler la voix après les représentations. Comme un artisan, j’aime agir sur mon instrument, le modeler, le polir. J’éprouve le besoin de remettre en cause mon travail, de mettre à plat ce que je sais faire et ce que je dois améliorer. Le plaisir sur scène est souvent ressenti après le spectacle et pas pendant. Le contrôle est important mais la concentration l’est plus encore ; c’est à la fois physique et cérébral. Agir sur sa manière de chanter en dehors de la scène est indispensable, car sur le plateau on doit justement tout oublier.
Vous chanterez prochainement au Châtelet une œuvre rarement jouée de Roussel, Padmavati, une production confiée à un maître du Bollywood, le réalisateur indien Sanjay Leela Bhansali. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de participer à ce projet ?
Yann Beuron : J’ai du me décider il y a deux ans. J’ai trouvé la musique du brahmane très intéressante, mais je n’avais aucune information sur le chef, ou sur l’équipe choisie. Sachant que j’allais beaucoup voyager, je me suis dit que la saison 2007-2008 pouvait être plus « parisienne », ce qui me réjouit, ayant plus de temps à consacrer à ma famille.
En effet après la Bastille et le Châtelet, vous participerez à une reprise d’Iphigénie en Tauride à Garnier. Comment vivez-vous cette reconnaissance qui, en France, ne va pas de soi et que vous partagez avec Béatrice Uria-Monzon, Mireille Delunsch, Sandrine Piau et Ludovic Tézier ?
Yann Beuron : Je me demande souvent pourquoi j’ai pu arriver où je suis actuellement, avec mon type de voix. J’ai assez peu de retour sur ce que je suis en tant qu’artiste. Je sais en tout cas que j’ai toujours été travailleur et ce, dès mon arrivée au Conservatoire de Paris. J’avais conscience qu’être soliste demandait des compétences très élevées, qu’il me faudrait acquérir. J’avais également à l’esprit que personne ne m’attendait. Vers 1995, à mes débuts, j’ai compris que la scène servait à mettre à l’épreuve sa technique et tout ce que l’on m’avait enseigné, mais que beaucoup de choses s’apprenaient sur le tas.
A un moment, mon travail a pris de la régularité dans sa constance, ce qui a sans doute rassuré la « profession ». Je pense que je suis considéré comme un bon professionnel, même si je ne suis pas médiatique et que mon nom ne remplit pas une salle. Modestement je suis content de ce que je fais. J’ai eu la chance de rencontrer mon agent Peter Wiggins de IMG Artists, qui s’occupe de moi depuis treize ans. Je lui dois énormément, car une carrière ne se construit pas toute seule et l’on sait très bien que beaucoup d’interprètes attendent vainement de prendre leur envol.
Propos recueillis par François Lesueur, le 9 octobre 2007
Photo : DR
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