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Iphigénie en Aulide de Gluck par le Concert de la Loge au Festival de Laon 2022 - Très humains demi-dieux – compte rendu
Achille, fils de la nymphe Thétis qui le trempa dans le Styx pour le rendre invincible ; Clytemnestre, fille de Zeus, née comme Hélène dans l’un des œufs que pondit Léda ; Agamemnon, arrière-petit-fils de Tantale, lui-même fils de Zeus. Les principaux personnages d’Iphigénie en Aulide (1774) ont tous quelque chose qui les rattache à l’Olympe, mais ils n’en sont pas pour autant des surhommes, et ce que montre l’opéra de Gluck, c’est combien ces héros sont humains autant, sinon beaucoup plus que divins.
Inspirée de la pièce de Racine – qui peint les hommes tels qu’ils sont, et non tels qu’ils devraient être –, la première tragédie lyrique parisienne du compositeur est un drame à fin heureuse où chacun passe par toute une gamme d’affects et se révolte tour à tour contre la puissance des dieux ou la puissance des hommes. On s’étonne d’ailleurs que, des grandes œuvres françaises de Gluck, cette Iphigénie-ci soit parmi les moins jouées : certes moins intense que Tauride (1779), elle n’en séduit pas moins par ses contrastes et son allant.
Souhaitons que l’interprétation proposée par le Concert de la Loge aide à faire pencher la balance un peu plus en faveur d’Aulide. Donnée d’abord à Soissons le 2 octobre, dans le cadre du Festival de Laon, puis à Paris le 7, cette version concertante emporte totalement l’adhésion ; l’enregistrement réalisé entre ces deux dates, à paraître à une date hélas assez lointaine, sera le premier sur instruments anciens, le disque de référence étant celui que John Eliot Gardiner avait gravé en 1990 à la tête des forces de l’Opéra de Lyon.
© Claude Barthelme
A la tête de son orchestre, Julien Chauvin (photo) souligne toute l’expressivité de la partition qui, à de nombreuses danses sacrifiant au goût français, mêle des pages d’une majesté tragique, sans rien de marmoréen toutefois. Dès l’ouverture, l’oreille est captivée par l’âpreté des traits confiés aux cordes ou par la puissance des vents. Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles livrent eux aussi une belle prestation, soumis qu’ils sont à des tempos parfois extrêmement rapides pour leurs diverses interprétations.
Quant aux solistes, Benoît Dratwicki a réuni une distribution composée en quasi totalité d’habitués des productions du CMBV, à une exception près. Sauf erreur, Stéphanie d’Oustrac n’a pas souvent été sollicitée pour ce genre d’entreprise, mais elle trouve en Clytemnestre un rôle parfaitement à sa mesure, avec une tessiture confortable où elle peut faire valoir une présence appréciable. Paradoxalement, le rôle-titre est sans doute le personnage le moins passionnant, même si la jeune fille commence par se rebeller contre ce qu’elle croit être la trahison de son prétendant, pour ensuite se soumettre à ce qu’elle croit être la volonté paternelle.
© Claude Barthelme
Par chance, Judith van Wanroij lui prête un timbre aux couleurs toujours délicieusement juvénile et sait rendre touchante cette Iphigénie dont on a peine à croire qu’en Tauride elle se changera en prêtresse du culte sanglant des Scythes. Calchas ne permet à Jean-Sébastien Bou de chanter qu’aux deux extrémités de l’œuvre, mais le baryton rend à merveille le côté inspiré du grand augure. Agamemnon, lui, a notamment droit à deux grands monologues, l’un ouvrant le premier acte, l’autre concluant le deuxième : jamais le chef des armées grecs n’a sans doute trouvé interprète plus émouvant que Tassis Christoyannis, à la fois pénétré de la majesté de son rang et accablé par l’exigence de Diane qui exige le sacrifice de sa fille. C’est bien ici le plus humain des demi-dieux que l’on entend.
Suprêmement terrestre par ses emportements, de colère ou de désespoir, Achille est dans cet opéra plus humain que divin, et Cyrille Dubois offre lui aussi une incarnation superlative, exploitant toute sa palette pour traduire le cheminement du fils de Thétis, avec notamment un très glorieux « Chantez, célébrez votre reine ». Les petits rôles et personnages des divertissements sont partagés entre David Witczak et trois voix féminines agréablement contrastées, Anne-Sophie Petit, Jehanne Amzal et Marine Lafdal-Franc.
Laurent Bury
Gluck : Iphigénie en Aulide – 2 octobre; Festival de Laon, Cité de la musique et de la danse, Soissons ; prochaine représentation vendredi 7 octobre 2022 (Paris ; Théâtre des Champs-Elysées : bit.ly/3yaXG0b )
Photo © Franck Juery
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