Journal
Iphigénie en Tauride de Gluck à Angers - Comme en plein air – Compte-rendu
Début 2018 déjà, Julien Ostini avait monté coup sur coup un Philémon et Baucis à Tours et un Faust à Saint-Etienne. Pour ses premiers pas dans l’univers de Gluck, le metteur en scène semble moins assuré que chez Gounod, et cette Iphigénie rappelle curieusement ces spectacles estivaux qu’on peut voir en plein air, où la magie du site compte souvent plus que l’expérience théâtrale. La production angevine propose donc un décor réduit à l’essentiel (un monolithe qui s’enfonce peu à peu et finit par devenir un autel, trois autres monolithes façon compression de César, que les personnages font s’écrouler d’un coup de coude) et des éclairages bariolés, qui font passer le fond de scène par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel sans raison apparente, tout comme se promène de manière ininterrompue la grande rondelle dorée suspendue aux cintres, dont le programme nous apprend que c’est « le disque de Diane ». La scène des Furies justifie la présence de trois danseuses, mais peut-être pas leur omniprésence : Alecto, Tisiphone et Mégère, dont le costume hésite entre danseuse du ventre et maîtresse SM, sont constamment sur scène, comme si elles faisaient partie du quotidien en Tauride. Les Scythes ont un petit air de Polovtses échappés du Prince Igor, et chaque membre du chœur exécute sa petite figure de kazatchok pendant l’un des ballets. Quant à l’héroïne et aux autres prêtresses, leurs robes blanches « à l’antique » nous renvoient aux représentations raciniennes qu’on donnait vers 1900, ou à la Phèdre de Sarah Bernhardt.
On attendait beaucoup de l’Iphigénie de Marie-Adeline Henry, dont on pouvait penser que la voix s’épanouirait dans ce rôle hors-normes : hélas, si l’intensité dramatique est bien là, la diction est trop souvent aux abonnés absents, et les aigus deviennent des cris stridents qui défigurent le moment de grâce que devrait être « O malheureuse Iphigénie ». Dommage qu’Elodie Hache n’ait que trois lignes à déclamer en Diane, mais l’on guettera avec le plus grand intérêt les deux représentations nantaises où sa consœur lui cède le rôle-titre, où l’ampleur de ses moyens devrait lui permettre de briller. Le Thoas de Jean-Luc Ballestra n’impressionne guère : on aimerait plus de noirceur dans le timbre comme dans l’incarnation. Heureusement, Oreste et Pylade sont mieux servis : le baryton franco-britannique Charles Rice ne rend pas tout à fait justice au caractère tourmenté de « Dieux qui me poursuivez » mais s’affirme au fil de la représentation, tandis que Sébastien Droy livre un sans-faute, dans ce répertoire qui lui convient parfaitement.
Heureusement aussi, Angers, Nantes et Rennes ont fait le bon choix en ce qui concerne le chef : c’est un privilège que d’avoir Diego Fasolis à la tête de l’Orchestre national des Pays de la Loire. Sans exagérer l’expression comme n’hésitent pas à le faire certains baroqueux, il respecte l’identité d’une œuvre qui participait en 1779 d’une (r)évolution du genre lyrique et sait imprimer à la partition l’urgence nécessaire, secondé avec ardeur par le chœur d’Angers Nantes Opéra (préparé par Xavier Ribes).
Laurent Bury
Photo © Jean-Marie Jagu pour Angers Nantes Opéra
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