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« Je sais qu’il ne faut pas brûler les étapes » - Une interview de Michele Mariotti, chef d’orchestre
Natif de Pesaro, ville de Rossini, et fils du surintendant du fameux festival d’art lyrique, vous n’êtes pas devenu chef d’orchestre par hasard. Quand et comment avez-vous décidé de vouer votre vie à la musique ?
Michele Mariotti : En tant que pésarais, j'ai très tôt joué au basket comme tous les gamins de mon âge, pour suivre la tradition du pays, mais, à mon grand étonnement, je n'ai pas grandi comme je le souhaitais (rires) ce qui a poussé ma mère a me proposer de me consacrer à la musique. Vers 12 ans j'ai pris conscience que mes amis jouaient mieux que moi, ce qui m'a décidé à suivre une nouvelle direction qui s'est révélée chaque jour plus forte. J'ai donc été inscrit au Conservatoire Rossini en classe de composition, puis quelques années plus tard ai pu intégrer la classe de direction d'orchestre de Pescara, qui était occupée par le chef Donato Renzetti. Mes débuts officiels remontent à 2005.
Justement vous faites allusion au maestro Renzetti auprès duquel vous avez appris votre métier et qui, à ce titre, a dû beaucoup compter ; quel type d'enseignant était-il et qu'avez-vous appris de lui ?
M. M. : Il m'a appris les bases d'une technique vraiment solide grâce à laquelle je me suis senti très tôt préparé. Cet enseignement qu'il a su codifier très précisément, vient du fait qu'il était percussionniste et les secrets de cet instrument lui ont permis de concevoir une pédagogie de la direction d'orchestre très aboutie. J'ai pu également bénéficier de son expérience et de sa grande générosité, car en tant qu'être humain c'est quelqu'un qui te donne beaucoup. Donato Renzetti est devenu mon professeur officiel, mais ayant eu la chance de grandir à Pesaro, j’ai également reçu l'enseignement, et cela gratuitement, de nombreux maestri illustres qui sont venus travailler au Festival et dont j'ai suivi les répétitions, ce qui a été une vraie école pour moi. J'ai pu voir ainsi Abbado, Chailly, Gatti, ne manque que Muti qui n'est jamais venu au Festival. Ces grands chefs que j'ai vus à l'œuvre chaque été sur des productions très différentes ont beaucoup compté dans mon apprentissage.
Depuis vos débuts à Salerno en 2005, vous avez dirigé le répertoire lyrique de Rossini, Verdi, Bellini, Mozart et Bizet. De quelle manière avez-vous bâti ce répertoire qui vous est propre et dans lequel vous semblez tellement à l’aise ?
M. M. : On sent très vite ces choses en soi ; on se rend compte quasi instinctivement que l'on est fait ou pas pour un certain répertoire, car on s'y sent bien, on est ému et on a conscience que l'on a des choses à dire. Je suis très attentif à mon parcours professionnel, je refuse de me presser car je sais qu'il ne faut pas brûler les étapes. Les chefs, à la différence des chanteurs qui sont pressés par le temps, ont le privilège de pouvoir travailler longtemps. Bien sûr le fait d'être « arrivé » est très relatif, car il faut surtout durer, alors autant avoir des réserves pour affronter la réalité. Rossini, Bellini, Verdi et Mozart sont mes auteurs de prédilection : je dirige Mozart depuis peu car il me fait peur et, de tous les auteurs, il est celui qui m'émeut le plus. Rossini est un compositeur dont je me sens très proche, Verdi est pour moi un génie absolu, et à Paris, je vais débuter avec un opéra qui est selon moi le chef-d'œuvre de Bellini.
Dans quelques jours vous ferez en effet vos débuts dans la fosse de l’Opéra Bastille avec un ouvrage que vous avez déjà dirigé, I Puritani. Quelle place occupe-t-il dans votre panthéon personnel ?
M. M. : Pour moi il y a Norma et I Puritani, qui sont les deux grands chefs-d’œuvre belliniens. Je trouve plus de variété dans I Puritani, davantage de moments contrastés entre ces pages à l'atmosphère éthérée, héroïque, ou douloureuse. Bellini sait surprendre et créer du suspense. Quand arrive Arturo par exemple, au premier acte, on sent que les cors, déjà présents dans l'ouverture, sont là pour rappeler un thème angoissé, où se lit une certaine impatience, puis il apparaît et chante son merveilleux « A te o cara ». On trouve dans cette partition plus qu'ailleurs, l'amour, la folie, l'inquiétude, la force, décrits au moyen d’une orchestration riche et subtile ; l'usage des percussions, des timbales est très moderne et on ne s’ennuie jamais. De tels opéras sont difficiles car nous devons accompagner les chanteurs, certes, mais il ne suffit pas de battre la mesure ; c'est un défi pour nous que de savoir accompagner, aller ensemble conjointement, dans la même direction.
Comment parvenez-vous à trouver l'homogénéité et la cohérence de cet ensemble ?
M. M. : Cette cohérence n’est pas difficile à trouver car nous devons toujours respecter les sentiments et les rapports humains que le livret met en avant : amour, amitié, jalousie, trahison sont autant d'affects violents que nous devons chercher à faire cohabiter, en les rendant audibles. Face au matériau que j'ai à ma disposition, je cherche toujours à ne pas avoir un seul tempo et trouve toujours pour cela une justification ; la musique me fait souvent penser à la mer qui semble calme en apparence, alors qu'en profondeur elle est en perpétuel mouvement. On ne doit pas être paresseux devant une partition, sinon on est ennuyeux alors qu'il y a tant à faire.
Le public parisien n’a pas eu l’occasion d’assister à une représentation des Puritains depuis 1987, date à laquelle la partition avait été donnée à l’Opéra Comique sous la conduite du maestro Campanella avec June Anderson et Rockwell Blake. Comment expliquez-vous une aussi longue absence ?
M. M. : … Je ne peux pas répondre à la place des directeurs de salles. Ce répertoire dépend beaucoup des chanteurs et il n'est pas facile de réunir un cast pour I Puritaini. Ici, à Paris par exemple, nous n'avons pas souhaité un soprano léger pour interpréter Elvira, et avons fait appel à Maria Agresta dont la voix est plus large, ce qui relève d'une proposition plus audacieuse. Pour moi qui ai déjà dirigé cette œuvre à plusieurs reprises, cela va donner une tout autre couleur à l'ensemble, ce qui est passionnant.
La partition sera-t-elle donnée dans son intégralité ?
M. M. : J’ai procédé à de petites coupures. Pour le moment je ne l'ai dirigée intégralement qu'en 2009 à Bologne (DVD Decca) et prochainement au Met, elle sera taillée davantage ! Je suis contre les interventions infimes, préférant enlever toute une section ou rien, car il faut éviter de déséquilibrer l'œuvre. En studio il est bien sûr plus facile de jouer l'intégralité de la partition, la scène nous obligeant à respecter la fatigue des artistes et parfois celle du public. Maria avait peur de chanter la cabalette finale en entier, avec la reprise – il faut préciser qu’elle débute dans ce rôle, qu’elle prend donc des risques, d’autant que ce spectacle l’oblige à être présente sur scènec tout au long de la soirée - , mais après discussion, elle a finalement accepté de l’interpréter. Heureusement, car si elle m’avait demandé de ne la donner qu’à moitié, je lui aurais proposé de ne pas la chanter du tout. »
Vous aimez beaucoup Rossini dont vous avez déjà dirigé un grand nombre de partitions. Alors que la « Rossini Renaissance » appartient désormais au passé, est-il tout de même facile de trouver les voix idéales pour interpréter les grandes pages sérieuses du maître ?
M. M. : Non ce n'est pas facile. Armida a été donnée au Met à cause de Renée Fleming. Tancredi, Semiramide que je dirigerai bientôt à Berlin, Ricciardo e Zoraïde que je considère comme un authentique chef-d'œuvre, demandent beaucoup de réflexion. Dans les années quatre-vingt les chanteurs qui sont devenus des mythes comme Blake, Merritt, Anderson, Cuberli ou Valentini-Terrani étaient uniques et les seuls qui chantaient Rossini de cette manière au moment de ce renouveau, alors qu'aujourd'hui les chanteurs chantent tout, Verdi, Mozart, Donizetti et ne sont plus spécialistes, mais des artiste complets. Souvenez-vous, Merritt n'a pas chanté beaucoup d'autres répertoires, Verdi n'était pas pour lui !
Deux ans après avoir débuté en Italie, vous avez eu l’opportunité de succéder à Daniele Gatti au poste de chef de l’Opéra de Bologne. Quel répertoire allez-vous développer dans les prochaines années et qu’avez-vous pu imaginer et mettre en place avec cet outil et en particulier en faveur du public ?
M. M. : Avec Ballo, Aida et Attila, Verdi dont j'ai déjà initié le retour avec Nabucco et veux surtout diriger un Mozart par an : je ferai Cosi, puis Zauberflöte après avoir assuré Idomeneo et Le Nozze. J'ai la chance de pouvoir diriger les œuvres du bel canto ailleurs. Et puis bien sur le répertoire symphonique pour lequel je me sens désormais prêt : j'ai débuté il y a un an avec Tchaïkovski, Dvorak et Brahms vont suivre. L'opéra est très important pour moi, mais je ne dois pas oublier le symphonique pour me sentir un musicien complet. Je suis heureux d'avoir ouvert les répétitions de Nabucco aux écoles pour montrer aux jeunes ce qui se passe dans un théâtre avant que les représentations ne commencent : ils n'imaginaient pas que les équipes travaillaient autant et ont été surpris de voir des gens s’énerver, construire, refaire, réfléchir, comme dans la vie. Puis ils ont assisté au spectacle à des tarifs très bas. C'est capital pour moi, car si on ne fait pas ça, on n'arrivera à rien.
Dans quel état êtes-vous lorsque vous êtes loin de votre orchestre et laissez vos instrumentistes dans les mains d’autres chefs ?
M. M. : La qualité a besoin de qualité, l'orchestre de Bologne est fantastique, évolue en permanence et les autres lui apportent beaucoup. J'ai toujours pensé au bien que peuvent en tirer les instrumentistes, car plus le niveau est haut, plus les chefs sont bons et plus cela est bénéfique pour tout le monde.
Propos recueillis le 19 novembre 2013 et traduits de l’italien par François Lesueur
Bellini : I Puritani
Les 25, 30 novembre, 3, 6, 9, 12, 14, 17 et 19 décembre 2013
Paris – Opéra Bastille
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Photo : DR
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