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Jenufa à l’Opéra de Dijon – Authentique et saisissant – Compte-rendu
Tout au long du drame, Yves Lenoir se montre très attentif à l’évolution psychologique des personnages, et les décors de Damien Caille-Perret (un silo à grains et la cour du moulin donnant sur un espace ouvert où s’activent les protagonistes) suggèrent avec une grande économie de moyens la réalité d’un monde paysan replié sur lui-même. Les lumières contrastées de Victor Egéa alternent intériorité et débauche de couleurs, apportant un supplément d’authenticité. Aucune concession au pittoresque (y compris dans les costumes de Jean-Jacques Delmotte), mais une volonté d’actualiser l’action au-delà d'un fait divers sordide.
Le plateau séduit par son homogénéité et le sentiment d’urgence délivré par chacun des interprètes – qui ont bénéficié des conseils éclairés du chef de chant Nicolas Chesneau. Dans le rôle de la terrible Kostelnicka – la Sacristaine capable par son excès d’amour destructeur de commettre l’irréparable –, Sabine Hogrefe crève l’écran tant sur le plan de l’incarnation théâtrale que de l’aisance vocale. Hallucinée, raide de comportement, oscillant entre remords et hystérie, la soprano allemande concentre sur elle toute la misère du monde.
La Jenůfa de Sarah-Jane Brandon s’écarte de la vision pathétique du personnage et apporte un surplus de fraîcheur, tout en sachant tirer des larmes par l’intensité de sa sensibilité (au moment de la prière de l’acte II, quand elle apprend la mort horrible de son enfant).
Du côté des hommes, splendide Laca qui trouve en Daniel Brenna un chanteur à la mesure du rôle par la projection wagnérienne de son émission, autant que la violence dont il fait preuve lors de ses crises de jalousie à l’égard de son rival et demi-frère Steva, qui bénéficie de la qualité d’expression de Magnus Vigilius en amant de Jenůfa, irresponsable et porté sur la dive bouteille. Une mention pour le Starek de Tomáš Král, le contremaître du moulin qui, dans ses courtes interventions, témoigne d’une belle pureté de style. Seconds rôles bien distribués avec la grand-mère Buryja d’Helena Köhne, contralto d’un naturel convaincant ; la fille du maire Karolka, défendue avec pertinence par Katerina Hebelkova, et le maire de Krysztof Borysiewicz, basse profonde très suggestive.
Les Chœurs de l’Opéra de Dijon, préparés par Anass Ismat, se montrent à la hauteur des enjeux (la chorégraphie de Virginia Heinen y contribue pour une large part). Ils participent par leur cohésion à la réussite d’une splendide Jenůfa. Ce spectacle sera repris au Théâtre de Caen en janvier prochain dans la même distribution. A ne manquer sous aucun prétexte !
Prochain rendez-vous lyrique à l’Opéra de Dijon en novembre avec Nabucco de Verdi, dans la mise en scène de Marie-Eve Signeyrole et sous la baguette de Roberto Rizzi-Brignoli.
Michel Le Naour
Photo © Gilles Abegg - Opéra de Dijon
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