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Khatia Buniatishvili en récital à Pleyel - Walkyrie du piano - Compte-rendu

Ils sont légion, ces jeunes phénomènes qui fouaillent leur clavier et excitent le public. Pourtant, avec Katia Buniatishvili, il semble qu’un pas supplémentaire soit franchi. Son récital de pur romantisme, en dehors de la 7ème Sonate de Prokofiev - il fallait bien qu’elle se chauffât les doigts, après avoir seulement joué la Sonate de Liszt, la 4ème Ballade et la 2ème Sonate de Chopin ! - fut bien plus qu’éblouissant : tout simplement bouleversant, révélant une riche maturité, une profondeur, et une intensité dans la vision musicale qui ne sont pas toujours la marque des enfants prodiges, souvent vidés de leur sensibilité par trop de succès précoces.

D’abord, une sirène, superbe silhouette proclamant tous les atouts de la séduction avouée, plus évidente que provocante, le pied émergeant du stiletto et du fourreau lamé, le cheveu déployé comme un étendard, noyant son visage chaleureux et puissant. Face au clavier, c’est une walkyrie bouillonnante, oubliant tout artifice pour se livrer totalement. Le son est rond, charnu, les galopades fluides, les fracas époustouflants. « Toutes mes peines se poétisent, tous mes instincts s’exaltent », écrivait Marie d’Agoult, fascinée par son grand homme. C’est ce que l’on ressent en écoutant la jeune géorgienne, particulièrement dans la Sonate de Liszt, déroulée par la pianiste en un récit d’une ampleur surprenante, intime autant que spectaculaire. Le fait qu’elle l’ait choisie d’entrée de jeu, comme une affirmation de soi, témoignait de son adéquation à cet univers complexe, aux rebondissements jamais élucidés.

Une plénitude difficile à quitter pour aborder l’univers, pourtant peu éloigné de Chopin dans sa 4e Ballade, opus 52, jouée avec une classe et une élégance dont on admire qu’elles paraissent si naturelles, trait d’ailleurs caractéristique du jeu de Khatia Buniatishvili, tout comme pour la 2ème Sonate de Chopin, ses angoisses englouties par son effarant brouillard de notes final, où la pianiste parvenait à garder le cap. Ensuite place au déchaînement de la 7ème Sonate de Prokofiev, on l’a dit, où l’interprète rebondissait comme une cavale en furie. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait fini par le Mazeppa de Liszt. Sans doute aurait elle pu enchaîner sur l’intégrale des Etudes d’exécution transcendante sans sourciller.

Merveille que cette jeunesse ardente et pourtant si imprégnée des vagues de l’âme humaine : Buniatishvili, 25 ans, et déjà presque vingt ans de carrière, diffuse une énergie et une intuition musicale qui émerveillent et touchent profondément. «  Celui qui veut faire quelque chose pour le monde, disait Goethe, doit veiller à ne pas se laisser prendre par lui ». La vaillante Khatia, sauvée d’un vedettariat trop précoce par la richesse de sa nature, a déjà beaucoup fait. Et si venait d’éclore une nouvelle Argerich ! La chose a déjà été pressentie : elle se confirme.

Jacqueline Thuilleux

Salle Pleyel, le 19 novembre 2012

A écouter : le deuxième CD de Katia Buniatishvili chez Sony Classical, consacré à Chopin, avec l’Orchestre de Paris et Paavo Järvi.

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Photo : DR
 

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