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Kun Woo Paik aux Concerts de Monsieur Croche / Salle Gaveau – Chopin, enfin – Compte-rendu
Monsieur Croche n’avait pas des idées ordinaires. Les « Concerts de Monsieur Croche » – série de piano lancée par Yves Riesel salle Gaveau à la rentrée 2018 – n’ont pas non plus le goût des choix passe-partout et revendiquent même un côté « redresseur de torts » dans le paysage musical parisien. Sans eux nous n’aurions pas pu entendre depuis septembre dernier des artistes tels que Vladimir Felstman, Henri Barda, Idil Biret ou encore, tout récemment, Kun Woo Paik (photo). Véritable star dans sa Corée natale, le pianiste n’a pas l’audience qu’il mérite en France, même si de nombreux passionnés guettent avec impatience chacune de ses apparitions.
Sachons gré aux Concerts de Monsieur Croche de l’avoir invité, pour le bonheur qu’on éprouve toujours à écouter en concert un artiste qui se donne corps et âme et pour celui de le trouver programmé dans Chopin. Compositeur célèbre s’il en est, le Polonais aura en effet attendu longtemps pour faire son entrée au répertoire de Kun Woo Paik (comme pour Aldo Ciccolini, autre grand lisztien). Le pianiste a certes signé en 2003, avec l’Orchestre Philharmonique de Varsovie et Antoni Wit, une remarquable intégrale de la musique concertante (Decca), mais on l’attendait dans la musique pour piano solo et les opus de maturité. Le moment est enfin venu, et c’est là une manière de retour aux sources pour celui qui a tant servi des compositeurs nourris de l’art de Chopin, Liszt d’abord – à qui il restait beaucoup à apprendre quand son collègue lui dédia les visionnaires Etudes op. 10 ... –, mais aussi Rachmaninov, Scriabine, Fauré, Ravel.
Cinq ans après un fabuleux récital Schubert, Kun Woo Paik signe, toujours chez DG Corée (1), une intégrale des Nocturnes. Il nous aura longtemps fait languir avant de livrer sa vision de ces pages ; l’attente en valait la peine : une interprétation envoûtante, dans des tempos retenus, profondément lyrique, mais d’un lyrisme viril fuyant les pâmoisons, continûment attachée à sonder les harmonies incroyablement modernes de Chopin. Le résultat en déstabilisera certains, comme avait pu le faire Claudio Arrau en sont temps, mais ... quel artiste, quel voyage !
Kun Woo Paik a structuré son récital autour de trois paires de Nocturnes (n° 5 op 15/2 & n° 7 op. 27/1 ; n° 4 op. 15/1 & n° 13 op. 48/1 – qui clôt la première partie – ; n° 16 op. 55/2 & n° 10 op. 32/2), trois pôles où l’on retrouve toutes les qualités de l’enregistrement, auxquelles s’ajoute le contact direct, irremplaçable avec une sonorité d’une rare intensité. Le sens harmonique de Paik face à Chopin s’exprime dès l’Impromptu n° 2, placé en ouverture, et n’émerveille pas moins dans la Polonaise-Fantaisie, pétrie de poésie, à la fois fière et pudique. Les valses n’ont pas été oubliées et, avec les Opus 34, 70 et 18, l’interprète montre sa compréhension du style brillant dont ces morceaux sont imprégnés. Conclusion bouleversante, la si souvent rabâchée Ballade n° 1 semble naître sous ses mains, profondément narrative, véritable odyssée musicale au terme d’un programme d’une cohérence parfaite. Malgré les applaudissements qui fusent, aucun bis ne viendra l'altérer. Tout est dit.
Notez que les Concerts de Monsieur Croche sont de retour le 7 novembre prochain avec – événement s’agissant d’un interprète absent des scènes parisiennes depuis quatre décennies – Peter Rösel, vraie légende du piano allemand, dans Haydn, Schubert et Beethoven.
Alain Cochard
Paris, Salle Gaveau, 22 mai 2019 / Les Concerts de Monsieur Croche, saison 2019/2010 : concertsdemonsieurcroche.com
Photo © Jinsoo Lee (THIERRY studio)
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