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La Bayadère en direct de l’Opéra Bastille (Replay) – Les charmes d’un mirage – Compte-rendu
Pour La Bayadère, ballet à grand spectacle et à grandes enjambées, signé de Marius Petipa et créé à Saint-Pétersbourg en janvier 1877, trois autres dates aussi remarquables l’une que l’autre, marquées par l’étrangeté: 19 mai 1961, 8 octobre 1992, 13 décembre 2020. La première salue l’apparition parisienne du jeune prodige Rudolf Noureev, qui dès son entrée dans La Bayadère, présentée sur la scène du Palais Garnier par le fabuleux Kirov de Léningrad, déchaîne les clameurs enthousiastes d’une foule sidérée.
La seconde, sinistre, mêle le faste, la splendeur d’une production grandiose, décorée par le tandem surdoué Frigerio-Squarciapino, et l’éclat d’étoiles incomparables, les Hilaire, Platel, Guérin, à la présence glaçante d’un Noureev fantomatique, à l’origine du spectacle : assis sur un fauteuil, seul sur scène lorsque le rideau final se releva, il y avait déjà sur lui l’ombre de la mort qui allait l’emporter trois mois plus tard, tandis que sanglotaient les spectateurs et les danseurs massés autour de lui dans les coulisses, dans un silence de sacristie. Somptueuse mise au tombeau pour ce géant qui toujours avait rêvé de remonter ce ballet de sa jeunesse auquel il était, si étrangement, demeuré passionnément attaché, car il nous est permis de dire aujourd’hui que l’œuvre ne le mérite pas vraiment.
Dernière date enfin, dans un monde assoiffé de spectacle, de beauté, mais qui n’y a plus accès que dans la solitude des écrans, privé du vif du spectacle, cette représentation captée à l’Opéra Bastille et diffusée en direct, avec laquelle l’Opéra de Paris inaugure sa nouvelle plateforme numérique, comme le gala emblématique d’un triste Noël. La baguette du chef Philippe Hui se lève sur l’orchestre de l’Opéra, les danseurs saluent après les variations, même si l’on n’a pas jugé bon d’ajouter de faux applaudissements comme pour les matches. On est au cinéma, sauf que c’est en direct, ce qui doit représenter une étrange aventure pour des danseurs habitués aux feux de la rampe. Mais très vite, on s’habitue, et l’on regarde ce conte de fées en chaussons avec plaisir, d’autant que l’Opéra a joué le grand jeu, en frétant pour chaque acte des étoiles différentes.
Et c’est comme un album que l’on feuillète avec ces tableaux clinquants qu’animent de superbes créatures. Certes, la bluette est assez fade, et la ridicule musique de Ludwig Minkus (1826-1917) ne lui a même pas apporté la dose d’orientalisme qui pourrait la justifier. Mais il y a un éléphant à roulettes qu’on aimerait bien au pied de son sapin de Noël, 320 costumes taillés dans des soieries balinaises, des variations à n’en plus finir sur des rythmes de galops viennois, et surtout des moments clefs, auxquels Noureev n’a d’ailleurs pas beaucoup touché dans sa relecture, somme toute très fidèle à Petipa : ainsi le célébrissime ballet des 32 ombres, ou la variation de Nikiya , piquée mortellement par un serpent, et si proche de la scène de la folie de Giselle.
Et de cet ensemble bizarre, aussi naïf que brillant, un charme monte : que ce soit grâce à celui d’Amandine Albisson en Bayadère au 2e acte, dont la sinuosité et l’intensité dramatique font presque oublier l’omnipotence des russes dans ce rôle, à la délicatesse de Myriam Ould Braham dans le 3e acte, si bien mise en valeur par Mathias Heymann, qui danse comme on trace des pleins et des déliés, la beauté dure de Léonore Baulac en Gamzati au 1er acte, et les solides présences des Louvet, Marchand, Colasante, Gilbert, tous donnant le meilleur d’eux-mêmes, assoiffés de parcourir enfin la scène pour revivre pleinement.
Paul Marque © Julien Benhamou - OnP
Certes, les applaudissements ont dû leur manquer autant qu’il nous a été difficile de ne pas les féliciter. Mais il y a eu un cadeau de plus à accrocher à cet arbre de Noël sous cellophane, la nomination sur scène d’une nouvelle étoile, Paul Marque , 23 ans, dont les apparitions ont toujours déclenché le plus vif intérêt, bien qu’il lui faille affirmer sa présence. Comme le disait Noureev, « les danseurs ne peuvent progresser qu’en vivant dans la démesure, dans l’exceptionnel ». Après une quasi année d’absence scénique, le conte de fées vécu par le jeune homme, transgressant vaillamment et avec élégance les plâtras rutilants de son costume d’Idole dorée (photo), était déjà hors normes, et ses larmes ont transpercé les écrans…
Jacqueline Thuilleux
Minkus (chor. Noureev-Petipa) : La Bayadère – Paris Opéra Bastille, le 13 décembre 2020, retransmission sur la plateforme numérique chezsoi.operadeparis.fr. Disponible en replay payant jusqu’au 20 décembre 2020
Photo © Svetlana Loboff - OnP
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