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La Belle Meunière par Samuel Hasselhorn et Ammiel Bushakevitz à la salle Cortot – Le lied souverain – Compte-rendu
On connaît le problème essentiel de l’adorable salle Cortot, écrin précieux où l’on vient savourer le meilleur de la musique en ayant l’impression de faire partie des Pléiades : les sièges grincent, et cela peut gâcher des soirées. Mais tandis que courait le ruisseau schubertien de La Belle Meunière, il n’y eut pas un seul crissement : spectateurs absolument médusés, emportés par la splendeur que leur offrait le duo du baryton Samuel Hasselhorn et du pianiste Ammiel Bushakevitz, apportant la preuve que la musique en vif peut aller bien au-delà du meilleur des enregistrements.(1)
Samuel Hasselhorn & Ammiel Bushakevitz © Uwe Arens
Entreprise magnifique que celle lancée par Harmonia Mundi, qui sur les cinq années à venir,- 2028 marquant les deux cents ans de la mort du compositeur- fera paraîtra le meilleur des lieder de Schubert, avec cet incroyable duo d’artistes. (2). De Samuel Hasselhorn, on a été ébloui avec son CD, « Glaube, Hoffnung, Liebe », où l’accompagnait l’excellent Joseph Middleton au piano (Harmonia Mundi) : Schubert déjà. Avec l’étrange cycle La Belle Meunière, juste paru, la découverte s’impose comme une évidence : depuis Fischer-Dieskau et malgré de grands interprètes tels Matthias Goerne, sans oublier Jonas Kaufmann - ténor lui, ce qui donne une connotation différente), on n’a pas eu de telle révélation.
D’autant que la fusion du chanteur avec son pianiste va chercher au plus profond des rêves schubertiens, portés par les poèmes de Wilhelm Müller, lequel disait que ses mots n’avaient de sens que lorsque la musique les faisait s’envoler. Tout l’art des lieder, dans lequel Hasselhorn, par ailleurs grand mozartien et mahlérien (l’Opéra de Paris a eu la bonne idée de lui confier les Chants du Compagnon errant, lors de certaines soirées de L’Hommage à Béjart au printemps dernier), excelle par sa maîtrise du verbe orfévré sans maniérisme, sans effet, avec une sorte de pudeur bouleversante.
Ammiel Bushakevitz © Uwe Arens
Fabuleuse schubertiade donc, que cette alliance qui semblait montrer à nu les deux visages qu’on imagine à Schubert : l’un, avec Hasselhorn, tout de passion fougueuse et de sensualité maîtrisée, l’autre, sous les doigts de Bushakevitz, capable de traits ardents, mais surtout rayonnant d’une douceur navrée, comme s’il tendait l’autre joue au monde qui l’agresse. Un Schubert malade et libre, ne cherchant rien, et se laissant emporter par les flots inéluctables du néant. Dans cette séquence si dense, il y a eu des attaques violentes, pour Halt, par exemple, des protestations dans Mein !, des murmures pour Trockne Blumen, la voix dorée, aussi claire que riche de Hasselhorn, capable de s’effiler, de s’effacer presque, reliant tout le récit en une chaîne d’ émotions vagabondes, tandis que le piano coulait fluide vers l’ultime « Gute Ruh » de Des Baches Wiegenlied …
Avec cet alliage unique, on n’allait nulle part, on se laisser emporter vers l’essentiel. « Voix toujours, mais indéfiniment renouvelée, qu’on entend, voix d’un être qui, par la musique, est en communication avec les mystères insondables de l’univers ». On a bien besoin aujourd’hui de cette autre voix aussi, celle du grand passeur de musique Antoine Goléa, telle qu’il l’exprima au sujet de Schubert dans "La Musique, de la nuit des temps aux aurores nouvelles" (3). Les sièges n’ont donc pas crié, mais le public lui, a exprimé son enthousiasme avec passion. Un choc…
Jacqueline Thuilleux
(1) Die schöne Müllerin - Harmonia Mundi HMM 902720
Excellente nouvelle, on apprend que Samuel Hasselhorn vient d’enregistrer pour HM un original programme de lieder avec orchestre (Berg, Braunfels, Humperdinck, Mahler, Pfitzner, Strauss, Zemlinsky) avec la Philharmonie de Poznan dirigée par Lukasz Borowicz (parution juin 2024)
(2) Lire les interviews des artistes : www.concertclassic.com/article/interwiews-de-samuel-hasselhorn-baryton-et-dammiel-bushakevitz-pianiste-la-belle-meuniere
(3)Alphonse Leduc et cie.
Paris, Salle Cortot,14 octobre 2023
Photo © Samuel Hasselhorn & Ammiel Bushakevitz © Uwe Arens
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