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La Chronique de Jacques Doucelin - Bill ou les Trente Glorieuses du baroque
Finalement, les anniversaires ont du bon en ce qu'ils remettent les pendules à l'heure. Qui aurait ainsi pensé qu'il y a déjà trois décennies que Les Arts Florissants de William Christie nous émerveillent à chaque nouvelle saison ? A cette impression d'éternelle jeunesse que produit cet ensemble vocal et instrumental, il y a une raison bien spécifique : c'est que, spécialisés dans l'interprétation du répertoire européen des 17e et 18e siècles, les « Arts Flo », comme disent leurs admirateurs, ne sont pas une institution figée, mais au contraire en perpétuel renouvellement grâce à la vocation de pédagogue né qui caractérise la démarche de ce chef français d'origine américaine.
C'est en cela, et en cela seul, que William Christie se rapproche de Pierre Boulez. Ce dernier a commencé par affirmer: « la musique contemporaine n'est pas difficile, elle est mal jouée. » Et d'en tirer les conséquences avec la création des instruments idoines, l'Ircam et l'Ensemble Intercontemporain. A l'autre bout du répertoire, le recours aux instruments anciens - contemporains eux aussi de la musique qu'ils ont vu naître - participe du même souci d'authenticité, et donc de spécialisation, afin de coller au maximum à l'esthétique des oeuvres.
Si Christie est toujours présent sur le devant de la scène lyrique et musicale en tant que chef et découvreur de continents perdus, c'est qu'il a compris qu'on ne pouvait asseoir la vigueur rythmique et la fraîcheur de l'approche qu'en luttant contre la routine, donc en formant au fur et à mesure de nouvelles générations d'interprètes qui se juxtaposent, s'amalgament spontanément aux Arts Florissants comme les jeunes recrues de l'armée de Carnot aux vétérans. Cette affirmation de la primauté accordée à la pédagogie devait aboutir en 2002 au lancement du Jardin des voix, sorte de centre de formation au chant baroque et d'insertion professionnelle dont la jeune troupe se renouvelle tous les deux ans.
Comme Claudio Abbado a gagné l'éternelle jeunesse du Dr Faust grâce à ses multiples orchestres juniors vite transformés en viviers pour les grandes phalanges internationales, de même Christie assure lui-même le renouvellement des Arts Florissants en puisant dans le vivier du Jardin des voix. C'est là où les mots ont leur importance : notez bien jardin. Ca n'est ni une coquetterie, ni le fruit du hasard, mais l'affirmation de la double identité de Bill à la fois terrienne et horticole, d'une part, et musicale, d'autre part. En fait, Christie n'a jamais vraiment choisi entre les deux depuis son arrivée en France au début des années 70. Parallèlement à sa carrière musicale internationale, il veille avec un soin non moins jaloux à la croissance et à la beauté du parc à la française qu'il a créé depuis deux décennies autour de l'ancienne maison forte protestante, dite « Le Bâtiment », qu'il a acquise à Thiré dans le sud du bocage vendéen.
Il n'est pas peu fier de nous annoncer que son jardin vient d'être inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Même les nombreuses étapes de la tournée qui va marquer la saison prochaine le trentième anniversaire de la création des Arts Florissants ménagent des « trous » réguliers de plusieurs jours pour que Bill puisse rentrer dans son village vendéen et surveiller ses buis taillés. Mais ce ne sont pas deux passions parallèles, car elles ne font qu'un pour Christie : il vous parle d'une partition versaillaise comme d'un jardin ordonné à la française et d'un massif de buis comme d'une musique baroque !
Je me souviens qu'au tout début de sa carrière de chef, lors de son premier travail sur la Médée de Charpentier qu'il avait donnée en concert au Festival estival de Paris, il désespéra totalement après la défection de plusieurs soutiens, notamment discographique. « J'arrête la musique, m'avait-il alors confié, je vais me remettre à l'horticulture avec mes parents. » Quelques années de galère plus tard, ce fut le miracle d'Atys monté d'abord à Prato, village natal de Lully près de Florence, avant le triomphe salle Favart suivi de plusieurs tournées en Europe ainsi qu'à la Brooklyn Academy de New York. Cette année 1987 ne devait pas seulement décider de l'avenir des Arts Florissants, car Atys de Lully marqua la fin de la querelle entre modernistes et baroqueux en sonnant la victoire définitive de ces derniers.
Bill peut jeter un regard amusé tempéré d'une moue dubitative sur ces trois décennies de combat pour la cause baroque. Il sait bien que c'est d'abord la victoire d'un travail long et acharné, de recherche de partitions, mais aussi de pédagogie déterminée pour former les défricheurs de ces nouveaux territoires gagnés sur l'oubli. Bien sûr qu'il a rencontré sur sa route des prédécesseurs comme Jean-Claude Malgoire, des institutions remarquables comme le Centre de Musique Baroque de Versailles, d'autres plus rebelles à ses recherches comme le vieux Conservatoire de Paris... Mais, chemin faisant, il a passé le virus aux plus jeunes de ses adjoints et les a laissé prendre leur indépendance, de Christophe Rousset à Emmanuelle Haïm en passant par Marc Minkowski qui tenait le basson dans l'orchestre d'Atys, et Jérémie Rhorer, le petit dernier !
Aujourd'hui, c'est entouré de deux nouveaux complices, l'Anglais Paul Agnew et l'Américain Jonathan Cohen, que William Christie abordera cette saison anniversaire qui les mènera de Sablé à la Chapelle royale de Versailles, du Barbican Center de Londres à Cherbourg, de New York à Caen, d'Amsterdam à Madrid, Bilbao, Athènes, Metz, Ambronay, Aix-en-Provence, Vienne en Autriche, Bucarest, Valladolid et Paris. Au programme, Didon et Enée et The Fairy Queen de Purcell, Susanna de Haendel, Actéon de Charpentier, Pygmalion de Rameau et Le Couronnement de Poppée de Monteverdi notamment. Cerise sur le gâteau d'anniversaire, le lancement par Les Arts Florissants en octobre d'un site internet, où le public et les musiciens trouveront aussi bien la discographie, les concerts de la saison que les partitions éditées par leurs soins.
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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