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La Chronique de Jacques Doucelin - Dona Musique a 30 ans
Jeanine Roze sonne matine depuis 30 ans. C’est si rare de pouvoir adresser des compliments désintéressés à quelqu’un qui en trois décennies ne les a jamais sollicités. Quelqu’un – quelqu’une en l’occurrence - de rare dans toutes les acceptions du terme, qui se tient discrètement en retrait des artistes, mais toujours humblement à leur service. Il s’agit, bien sûr, de Jeanine Roze, notre Dona Musique nationale, qui fête le trentenaire de la création de ses Concerts du Dimanche matin. Rare aussi parce qu’elle appartient à l’espèce en quelque sorte exotique dans notre France de la subvention culturelle généreuse et obligatoire, des entrepreneurs de spectacles privés. Même dans le domaine du classique, réputé non rentable, il subsiste, en effet, quelques irréductibles qui préfèrent encore la prise de risques, garante de leur liberté de choix artistique. Jeanine Roze est de ceux-là.
Madame Roze – est-ce un hasard ? – vient, dit-on, de la variété. Comme si c’était infâmant. Pas n’importe laquelle, il est vrai. Jeanine s’est occupée de Barbara: c’est dire la qualité, le respect du public, l’exigence, bref la rareté déjà. Elle aurait appliqué les recettes de la variété au classique. Si c’était aussi simple, on ne comprendrait pas l’échec aussi cuisant que généralisé des tripatouilleurs commerciaux, musicalement incultes, qui dans la dernière décennie on cru sauver l’industrie du disque classique en la soumettant aux formules people employées dans la variété bas de gamme. On a vu le résultat des œuvres de ces marchands de chaussettes musicales incapables de concevoir la moindre politique artistique: l’effondrement du marché ! Pour être juste, il faut souligner, dans le même temps, les succès de petites maisons de disques classiques menées par des gens aussi inventifs que compétents et soucieux de fonder leur réussite sur la durée : si le marketing peut accompagner l’activité industrielle qui s’en accommode, il tue à tout coup ce qui relève à l’évidence de l’artisanat, c'est-à-dire du constat de la qualité véritable.
Aidée, certes, à ses débuts dans le classique, par un mécénat intelligent – en l’occurrence Frank et Fils – Jeanine Roze a parié, et a gagné, sur la durée. Bien sûr qu’elle n’est pas naïve : ce serait terriblement dangereux. Mais elle suit à part égale son cœur et sa raison: c’est bien le moins dans toute activité artistique… pas si sûr, car c’est justement ce qui fait la différence entre les bons et les autres, entre les vrais impresarios et les marchands de soupe. Aussi bien, le sésame de Jeanine Roze est-il la fidélité. A ceux d’abord qui l’ont aidée, à ses artistes, ensuite, qu’elle défend bec et ongles parce qu’elle les a choisis et se sent responsable de leur carrière, et à son public, enfin, qui lui permet d’être ce qu’elle est. Comme quoi, il n’est pas de grande entreprise sans une morale exigeante.
Qu’il existe un public pour la musique classique le dimanche à Paris, tout le monde le savait, il y a trente ans, grâce aux concerts dominicaux des trois Associations – Colonne, Lamoureux et Pasdeloup – qui ont chacune leur public fidèle. Mais le dimanche matin, à l’heure de la grasse matinée ? Il fallait oser. Elle osa grâce à la confiante amitié de Jean-Louis Barrault qui l’accueillit d’abord dans son Théâtre d’Orsay. Elle le suivit au Rond Point des Champs-Elysées qu’elle quitta en même temps que lui – toujours la fidélité – non sans écrire un émouvant Adieu à Baptiste…
Mais ses Concerts du Dimanche matin avaient trouvé leur public et purent ainsi non seulement survivre, mais croître et embellir au gré des déménagements successifs. Les voici aujourd’hui au Châtelet où Jean Pierre Brossmann sut les accueillir et où son successeur Jean-Luc Choplin a décidé de prolonger le bail. Il faut dire que la programmation de cette trentième saison laisse rêveur : c’est tout simplement un sommet artistique, un accomplissement. Comme un grand cru ne donne le meilleur de sa force qu’après une longue garde, Jeanine Roze peut récolter les fruits de ses investissements, ou plutôt, en termes musicaux, de ses paris sur de jeunes artistes. C’est ainsi qu’elle a pu réunir, à 11 heures du matin, un incroyable trio à faire rêver tous les mélomanes de la terre : Bruno Canino, authentique poète du piano, Michel Portal dont la clarinette se confond avec la voix de Mozart, et Natalie Dessay qui portée par ses deux sublimes compères fit du Pâtre sur le rocher une fenêtre sur le paradis schubertien. Toute cette beauté pour 22 euros. Moins de 26 ans et chômeurs payant moitié prix.
Mais les Concerts du Dimanche matin ne sont pas qu’une grande heure de musique : Jeanine sait recevoir. Comme le placement démocratique est libre, on arrive en avance pour retenir sa place avec un vêtement, puis on petit-déjeune! Et on peut même venir en famille : elle a tout prévu. Les plus jeunes enfants sont, en effet, pris en charge par des spécialistes qui les initient à l’écoute et à la pratique musicale dans une salle voisine. Ainsi la formation du public de demain se conjugue-t-elle habilement avec la tranquillité de celui d’aujourd’hui. Mais ces matinées ont engendré des soirées qui se déroulent désormais au Théâtre des Champs-Elysées : récitals de piano ou célébration du jubilé musical d’un favori de Jeanine Roze, Jean-Claude Malgoire, fidèle d’entre les fidèles.
CQFD.
Jacques Doucelin
Lire les précédentes Chroniques de Jacques Doucelin :
- Trêve des confiseurs et langue de bois.
- Opéra de Paris : vers un divorce entre le public et le directeur
- Bravo pour la nouvelle salle ! Reste à former le public
- Le monde lyrique menacé de schizophrénie.
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- Couacs dans l’année Mozart !
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Photo : DR
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