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La Chronique de Jacques Doucelin - H.C. Robbins Landon, le savant qui aimait partager ses découvertes
Vous avez tous feuilleté ses livres sur Mozart dans les librairies ou vous les avez dévorés comme un roman policier musical digne d’Agatha Christie. Howard Chandler Robbins Landon est mort chez nous dans son château de Foncoussières, près de Toulouse, à l’âge de 83 ans. Comme il nous l’avait confié avec l’humour qui caractérisait cet authentique savant, c’est sur ordre de ses médecins londoniens qu’il s’était installé dans le sud-ouest de la France voilà un quart de siècle, « car ils ne donnaient pas cher de ma vie si je restais moisir dans le fog anglais ! » Sage décision de ce gourmand de la vie que cette émigration au pays du foie gras : car elle permit l’éclosion de ses plus beaux albums consacrés à Mozart.
Et d’abord cette Année 1791, la dernière de la courte vie de Mozart, mais peut-être la plus riche en créations de toutes sortes, que Robbins Landon narre par le menu au jour le jour comme un détective, ne laissant rien dans l’ombre – et Dieu sait s’il y en a des ombres dans l’existence mouvementée de Wolfgang ! – tordant le cou aux légendes les plus folles, mais aussi les plus tenaces notamment celles répandues par le film Amadeus de Milos Forman, comme l’empoisonnement du compositeur par le « rival » Salieri ou par les francs-maçons (ses frères et amis !) à force de recherches et de preuves accumulées.
Sans parler du superbe ouvrage Mozart, L’âge d’or de la musique à Vienne (J.C. Lattès) si merveilleusement illustré qu’il nous plonge dans le monde où évoluaient Mozart et ses contemporains. Mais ne vous y trompez pas, ça n’est pas là vulgarisation de pacotille ! L’élégance de la forme et l’agrément du propos n’y font jamais obstacle à un constant souci de rigueur musicologique : le savant chez lui ne lâchait jamais les rênes ! Il restait à l’affût de ce qu’on découvrait dans son domaine et en tenait compte. C’est ainsi que dans son dernier livre, il a mentionné cette audition privée du Requiem cinq jours seulement après la mort de Mozart : il fallait bien qu’il fût alors déjà terminé… Sans davantage de preuves, Robbins Landon se contente de citer le fait sans en tirer de conclusions hâtives.
Ce colosse au menton décidé, au front d’intellectuel et à la bouche largement fendue pour mieux avaler des ortolans à la douzaine, était un pur produit de l’Occident. Aussi bien sa carrière d’universitaire, de musicologue et de critique musical s’étendit-elle des deux côtés de l’Atlantique, de la côte Est des Etats Unis, de Boston où il naquit, à Londres où il fut correspondant musical de plusieurs journaux américains tout en suivant les traces de son cher Haydn jusqu’à Vienne. Car, si Mozart l’a tardivement rendu célèbre parmi les mélomanes français, ce sont ses recherches sur Joseph Haydn qui assurèrent son statut universitaire et scientifique à travers le monde. Elles auraient même suffi à établir sa gloire de musicologue. C’est, en effet, dès 1949 qu’il fonde la célèbre Haydn Society, basée d’abord à Boston puis à Vienne, qui jouera un rôle déterminant dans la redécouverte de l’œuvre de Haydn. Il publiera en 1955 Les Symphonies de Haydn, travail de géant puisqu’il les replace dans le contexte de leur époque.
Avec la « guerre froide », la recherche dans les bibliothèques de Budapest n’est pas aisée. C’est là que Robbins Landon fera feu de tout bois utilisant notamment les relations du Times dont il sera le critique musical durant près d’une décennie, pour passer les frontières, ouvrir les portes et les coffres… Malgré ces difficultés politiques majeures, il réussira à imposer au monde musical occidental tout l’œuvre de Haydn bien avant la chute du mur de Berlin, publiant ses opéras pratiquement inconnus qui vont commencer d’être joués. La Haydn Society favorise aussi les enregistrements de nombreux disques. Elle entama même une monumentale édition des manuscrits de Haydn, mais dut renoncer devant l’ampleur de la tâche et le coût de l’opération.
En contrepoint, Robbins Landon mena une carrière de musicologue et de professeur dans les grandes universités américaines et anglaises. A la fois puits de science, enseignant et journaliste, il symbolise cette musicologie anglo-saxonne qui privilégie le retour aux sources, aux manuscrits, à l’environnement socio-culturel du créateur, qui prit peu à peu le pas sur la musicologie livresque de l’Université française. Un William Christie, venu lui aussi de la côte Est des Etats-Unis, s’inscrit dans la même démarche. Tiens, un autre gourmand qui s’est installé en France…
Jacques Doucelin
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