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La Chronique de Jacques Doucelin : Jean-Louis Barrault, le mime qui parlait en musique
Comme toute vraie musique, Jean-Louis Barrault dont on célèbre le centenaire à Paris en ce début septembre, était né du silence. Vous vous souvenez du silence tout blanc de Baptiste, clown tragique et Pierrot lunaire amoureux transi de Garance dans Les Enfants du Paradis où Marcel Carné fait revivre l’ancien Boulevard du crime de Frédéric Lemaître, un siècle avant qu’il ne devienne le boulevard du théâtre. C’est là que devait s’inscrire le destin de ce gesticulateur de génie, ce manipulateur de marionnettes jouant avec les mythes grecs comme avec Le Soulier de satin de Claudel, avec le premier Wozzeck de Berg à Paris comme avec La Vie parisienne d’Offenbach : du sublime au théâtre de boulevard, c’est tout un. C’est sa vraie gloire et ceux qui le lui ont reproché sont des cuistres et des pisse-vinaigre !
Si je vous parle de Baptiste, c’est que sans lui, le visage de la musique française de la seconde moitié du XX è siècle eût été bien différent de ce qu’il fut. Jean-Louis Barrault ne fut pas un « touche à tout » contrairement à ce qu’on a pu affirmer, et à bon droit, de Jean Cocteau. Comme metteur en scène, il fut un modeleur d’âmes et un marionnettiste des corps, mais l’entrepreneur de spectacles, l’aventurier de la Compagnie Renaud Barrault devint par nécessité et par curiosité un découvreur et un accoucheur de talents dans tous les domaines. Car il fut l’homme du spectacle total associant tous les arts, n’oubliant jamais que le mime qu’il fut, frère muet du comédien et cousin au ralenti du danseur, a besoin de prendre appui sur des notes pour naître à la vie.
Monte-t-il Christophe Colomb, la pièce de Paul Claudel, il demande à Darius Milhaud, lui qui avait écrit un opéra éponyme pour l’Opéra de Berlin dès 1930, de composer la musique de scène. Il confie à son cher Boulez L’Orestie d’Eschyle, à Francis Poulenc L’Amphitryon de Molière, à Henri Sauguet Les Fourberies de Scapin, à Georges Auric Malborough s’en va-t-en guerre de Marcel Achard, ou La soirée des proverbes de Georges Schéhadé à Maurice Ohana le fils du soleil. On voit que l’éclectisme l’emporte largement, mais pas l’opportunisme, car le choix est toujours pertinent et musicalement juste. Rappelons ici que Barrault lui-même a incarné Berlioz, le compositeur français le plus fou, le plus romantique et le plus inventif, dans La Symphonie Fantastique de Christian-Jaque en 1942.
Jean-Louis Barrault n’a jamais oublié ses modestes débuts chez Dullin où il commença d’abord, dans les années 30, par jouer les utilités dans le légendaire Volpone : aussi bien sa porte est-elle toujours restée ouverte aux jeunes artistes. Ainsi de Pierre Boulez, élève d’Andrée Vaurabourg dont le mari, Arthur Honegger, le présenta à Barrault : il en fit dès 1946 le directeur musical de la Compagnie Renaud Barrault qu’il créa en quittant la Comédie française. Boulez a 21 ans ! Il n’est pas inutile de rappeler, car c’est un symbole très fort, que le directeur musical de la Comédie française n’était autre alors que Marcel Landowski : tout est dit du devenir de notre vie musicale nationale et de ses péripéties !
Les Renaud Barrault ont toujours attiré les meilleurs musiciens de leur époque. En atteste l’affiche musicale du spectacle inaugural de leur installation au Théâtre Marigny en 1946 avec Hamlet: Pierre Boulez est aux ondes Martenot tandis que Maurice Jarre, deux ans avant d’inventer pour Jean Vilar les fameuses sonneries du Festival d’Avignon, tient les percussions. Excusez du peu ! En 1963, lorsque Pierre Boulez dirige la création parisienne de Wozzeck d’Alban Berg au Palais Garnier, Jean-Louis Barrault signe la mise en scène. Responsable d’une troupe lui-même, il fera peu d’opéras, à l’exception remarquée du Faust de Gounod et de la Carmen de Bizet au vieux Met de New York.
Mais la musique, et d’abord la musique contemporaine, demeure l’une de ses constantes préoccupations et Barrault a toujours affiché une saison musicale dans les différents lieux où il a promené sa troupe, contraint et forcé. C’est ainsi qu’il confie très vite à Pierre Boulez la responsabilité des « Concerts du Petit Marigny » qui précèderont de quelques années ceux du Domaine musical à partir de 1954. On y entend d’abord l’avant-garde viennoise et les jeunes Turcs du dodécaphonisme français. Lorsque sa carrière de chef d’orchestre explose dans les pays anglo-saxons, en 1967, Boulez passe les rênes du Domaine musical à son disciple Gilbert Amy : les Renaud Barrault sont encore à l’Odéon où Malraux les a installés avant que mai 68 ne les en chasse…
A partir de 1972, la troupe se fixe sous les verrières de la vieille Gare d’Orsay où elle installe une structure démontable qui servira en 1981 lorsqu’elle devra quitter la gare transformée en Musée pour le Palais des Glaces, ancêtre du Théâtre du Rond-Point. Il en faut plus pour décourager Baptiste ! C’est à Orsay qu’il invente avec une entrepreneuse privée Jeanine Roze les toujours fameux Concerts du Dimanche matin (une heure de musique de chambre) qui ont survécu aux déménagements successifs. Mais Barrault n’applique pas un cahier des charges, il ne remplit aucune obligation, il obéit seulement à sa curiosité naturelle pour les cultures les plus lointaines. J’ai souvenir d’avoir découvert au Théâtre d’Orsay à la fin des années 1970, assis au côté d’Olivier Messiaen, le gagaku, cette fascinante musique de cour japonaise : merci Baptiste !
Mais le danseur qui sommeillait dans l’immobilité du mime Barrault tenait d’abord à la plus grande liberté : c’est ainsi qu’il a fait appel au jazz, puis à Michel Polnareff pour son spectacle Rabelais, à Guy Béart pour Harold et Maud et à Michel Colombier pour Le Bourgeois Gentilhomme. C’est lors du passage éclair au Théâtre du Palais-Royal que Barrault eut l’idée de sa géniale Vie parisienne qu’Offenbach avait conçue pour ce lieu même et pour une troupe de comédiens chantants à l’exception du rôle de Métella dévolu en 1958 à Suzy Delair. Le disque et le DVD attestent de la réussite totale de cette incursion dans le monde de l’opérette. Baptiste qui pleure, Baptiste qui rit. Un grand homme en somme.
Toutes les salles où la Compagnie Renaud Barrault posa ses valises durant un demi siècle de vie nomade, lui rendront hommage cette saison jusqu’en juillet 2011, du Théâtre Marigny à l’Odéon, du Musée d’Orsay au Palais-Royal, de la Comédie française au Théâtre de l’Atelier Charles Dullin, du Grenier des Grands Augustins à la Cinémathèque française, de l’Opéra au Théâtre du Rond Point. Le théâtre des Champs Elysées ouvre joliment le banc avec deux fresques de photographies illustrant parfaitement les rapports étroits de Barrault avec le monde de la musique de son temps.
Jacques Doucelin
> http://www.centenairejeanlouisbarrault.fr
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