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La Chronique de Jacques Doucelin - Le spectacle vivant au pied du mur de la com

Il s'est passé deux événements dans ce long week-end du 8 mai, qui doivent nous donner à réfléchir car ils illustrent parfaitement la situation paradoxale dans laquelle se trouve actuellement en France non seulement la musique dite classique, mais aussi le spectacle vivant et la culture d'une façon plus globale.

Le premier de ces événements, c'est la création, avec un énorme succès de public, de la dernière oeuvre d'Henri Dutilleux au Théâtre des Champs-Elysées avec la participation de deux stars incontestées du classique, la soprano américaine Renée Fleming dédicataire du Temps l'horloge et le plus parisien des chefs nippons, membre de notre Académie des Beaux Arts, Seiji Ozawa à la tête de l'Orchestre National de France, la phalange de prestige de Radio France.

Le second, c'est la journée « Tous à l'opéra » le 9 mai dans vingt quatre théâtres lyriques de l'Hexagone, sorte d'opération « Portes ouvertes » destinée à faire entrer dans ces usines à rêves un public nouveau, enfants et parents confondus. Notons au passage que le choix du 9 mai - « Journée de l'Europe » - pour cette troisième édition visait à s’associer quelque dix huit pays et une cinquantaine de théâtres lyrique européens. Certains ont ouvert leurs répétitions au public, tous leurs ateliers de décors et de costumes afin de ne rien cacher de l'envers du décor. On connaît le succès populaire de ce type de « Journées du patrimoine ». Le bilan démontre la réussite de cette opération qui réunissait les responsables locaux de nos principales maisons d'opéra et les autorités ministérielles parisiennes.

Or, ces initiatives qui visent surtout à attirer l'attention de la grande presse et spécialement des caméras de télévision sur l'activité culturelle en région comme à Paris ne sont pas isolées : toutes nos institutions symphoniques et lyriques possèdent, en effet, chacune d'importants services « Jeune Public » destinés à sensibiliser les élèves des écoles et collèges, en accord ou non avec l'Education Nationale, en les associant à l'élaboration de spectacles ou en leur destinant des répétitions spécifiques. On pourrait sans risque d'erreur joindre à ces montages plus spécialement pédagogiques la diffusion hors des lieux de spectacle proprement dits de certains ouvrages par le relai de salles de cinéma, voire par retransmission en plein air. Ce sera le cas, le 2 juin, du prochain Don Giovanni de Mozart présenté par l'Opéra de Rennes qu'on pourra voir sur la place de l'Hôtel de Ville de la cité bretonne, mais aussi à Brest et sur la chaîne Mezzo. Le 25 juin, c'est l'opéra le plus populaire du répertoire, Carmen de Bizet, qui rayonnera sous la baguette de John Eliot Gardiner depuis le lieu de sa création, l'Opéra Comique à Paris, dans une cinquantaine de salles de cinéma grâce au réseau CielEcran.

On voit clairement les deux bouts de la chaîne : d'une part, les efforts désespérés consentis par nos orchestres et nos opéras comme par Radio France en direction des jeunes cervelles laissées dans un vide culturel total par une Education Nationale naufragée pour ne pas dire plus...Les JMF ont eu leur vertu tant que la population scolaire est restée homogène, mais elles ne sont plus du tout adaptées aux nouvelles tâches et surtout à un jeune public hétérogène. Ce que prouvent précisément, la nature ayant horreur du vide, les initiatives que sont contraints de prendre les principaux diffuseurs artistiques français pour pallier ces manques. D'autre part, le niveau d'excellence et de fécondité de notre vie musicale avec le nombre de créations, et plus simplement de concerts consacrés au répertoire. Compositeur français vivant le plus joué de par le monde, Henri Dutilleux symbolise ainsi du haut de ses 93 ans toujours actifs l'intensité de notre vie musicale et le rôle que joue toujours notre pays sur la scène internationale en ce début de XXIe siècle.

De quoi vous plaignez-vous ? allez-vous me répondre. Justement de l'absence quasi totale d'écho fait à l'insolente santé de cette vie artistique dans nos médias de grande information. On parle beaucoup – et cela n'est que justice – de nos grands architectes qui vont construire des aéroports, voire des opéras en Chine ou ailleurs. Pourquoi pas de nos grands musiciens ? Vous me direz qu'on parle beaucoup de Johnny Hallyday... C'est plus cher que Dutilleux, mais c'est moins bien ! La musique dite « classique », rebaptisée « sérieuse », ce qui signifie rébarbative, osons le mot « chiante », faisant une peur panique à tout ce qui se mêle de politique à gauche comme à droite. Question de génération. Les décideurs de tout poil, même dans les journaux dont la clientèle reste sociologiquement « cultivée », c'est à dire inaccessible aux actuels rédacteurs en chef, sont tellement incultes qu'ils ne voient même pas le bénéfice en terme de ventes qu'ils pourraient tirer d'une politique culturelle vraiment raisonnée ...

Le mot « Culture » leur fait d'ailleurs tellement peur qu'ils l'ont purement et simplement supprimé en tête de leur rubrique rebaptisée dans un réflexe d'autodéfense mercantile « Nous et vous »... C'est atterrant de bêtise. Mais c'est ainsi que la place faite à la critique du spectacle vivant s'est réduite comme peau de chagrin dans la grande presse écrite, parlée et télévisée au bénéfice d'avant-papiers « pipôle » réputés attirer la publicité. Mais c'est le contraire qui s'est produit ! A force de servir la soupe, ces mauvais journalistes ont fait fuir ladite pub ! Plus besoin de publicitaires puisque des journalistes dévoyés ont pris leur place... C'est ce qu'on appelle scier la branche sur laquelle on est assis. CQFD.

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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