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La Chronique de Jacques Doucelin - Nicolas Joel : satisfecit à mi-saison
Installé au vaste bureau directorial de l’Opéra Bastille, dos à la lumière mais face à quelques dossiers chauds, Nicolas Joel évoque deux images contradictoires : celle du PDG serein et celle du chat bien pelotonné. C’est qu’il n’en finit pas de savourer sa victoire : le public est là et bien là, et l’argent rentre. Pour un patron, cela compte. A la mi-temps de sa première saison, le successeur de Gerard Mortier ne peut cacher sa satisfaction. « 2.700 spectateurs chaque soir pour Mireille ou Werther, martèle-t-il avec gourmandise. Comme quoi ça compte le répertoire français dans le coeur de notre public. » Preuve surtout qu’il ne s’était pas trompé.
Car si la machine a un peu patiné, à l’ouverture, avec une Mireille de Gounod égarée sur le plateau du Palais Garnier, le nouveau Werther, lui, constitue un coup de maître comme on en voit à peine une fois par décennie lyrique. Massenet dirigé par Michel Plasson et vu par Benoît Jacquot à l’Opéra Bastille a définitivement quitté son purgatoire parisien et désarmé ses détracteurs les plus farouches. A mi-parcours, Nicolas Joel, affublé par la gauche caviar du qualificatif rédhibitoire de « provincial », est en passe de gagner son pari : réconcilier Paris avec ses meilleurs compositeurs.
S’en donner les moyens n’était certes pas chose aisée même si le nouveau patron de l’Opéra de Paris a pu se préparer durant les quinze années passées à la tête du Capitole de Toulouse dans le sillage de Michel Plasson - encore un « fou » de musique française. Ils ont à leur actif commun certain Faust de Gounod à la Halle aux Grains. Mais Wagner, Strauss, Verdi, Puccini, Bizet n’avaient pas pour autant déserté leurs affiches. Quand certains fonctionnaires parisiens de la culture tentaient de persuader Nicolas Joel d’accepter l’aumône du sacro-saint label de national, il rétorquait avec son petit sourire en coin et une vraie fausse modestie : « comment accepter cela alors que nous sommes déjà un Opéra international ? »
Arrivé dans la capitale, il n’a toujours pas changé de braquet : pas question pour lui de faire uniquement du franco-franchouillard ! Regardez : si Michel Plasson est aux commandes de Werther, le héros de la soirée, c’est le magnifique ténor allemand Jonas Kauffmann dont on ne sait qu’admirer le plus de la perfection de sa prononciation et de la pureté de son style ou de l’impalpable aura romantique qu’il puise, presque inconsciemment, dans le chef-d’œuvre de Goethe. Ne croyez pas que cet artiste hors du commun soit là par le hasard des pressions de je ne sais quel bureau d’impresario.
C’est même une vieille connaissance de l’actuel patron de l’Opéra : « c’est Giorgio Strehler qui a le premier attiré mon attention sur Kauffmann quelques jours avant sa mort brutale au Piccolo teatro de Milan où il devait laisser inachevée son ultime mise en scène de Cosi fan tutte de Mozart. Kauffmann y chantait le rôle de Ferrando : je ne l’ai jamais oublié. » Le metteur en scène Benoît Jacquot n’est pas étranger non plus à ce fécond mélange des cultures. De son côté, sans jamais appuyer, Michel Plasson suggère ce que Massenet a trouvé dans Wagner…
Mais si vous considérez objectivement l’affiche de ces six premiers mois de règne, c’est l’éclectisme qui s’impose. Vous y trouverez ainsi une reprise du splendide Wozzeck d’Alban Berg signé Christoph Marthaler et rescapé de l’ère Mortier. Entre Le Barbier de Séville de Rossini et L’Elixir d’amour de Donizetti, vous surprendrez cette sublime curiosité qu’est La Ville morte de Korngold empruntée à l’Opéra de Vienne, ou l’étonnante Salomé de Richard Strauss signée par le Russe Lev Dodin. Si Joel se fait visiblement plaisir avec l’André Chénier de Giordano, il sait que La Bohème de Puccini ne peut pas quitter longtemps l’affiche d’un Théâtre lyrique digne de ce nom. Il reprend donc la vieille production de l’ère Gall.
Nicolas Joel a donc d’excellentes raisons d’afficher sa satisfaction. Elles le rendraient même un brin taquin : « le comptable de la maison m’a fait remarquer la modestie de mes frais de bouche… c’est vrai que je déjeune souvent à la cantine de l’Opéra. Tout le monde ne peut pas s’abonner au Grand Véfour… »
Devinez qui est visé ?
Jacques Doucelin
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Photo : DR
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