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La Chronique de Jacques Doucelin - Non aux Ayatollahs en tout genre !

« STOP ! s’écrie joliment Jean-Charles Hoffelé en tête de sa critique de Cadmus et Hermione de Lully présenté par l’Opéra Comique. C’est simplement l’expression du bon sens que le snobisme du public de l’opéra et le fondamentalisme baroque de certains musicologues qui ont fait du retour au passé qu’ils estiment le plus authentique une vraie quête de l’absolu, veulent superbement ignorer. De quoi s’agit-il ? Benjamin Lazar s’était déjà signalé en reconstituant l’intégrale du Bourgeois gentilhomme né de la collaboration de Molière et de Lully. Sa démarche avait impressionné de façon d’autant plus positive que c’était la première fois dans l’époque moderne que l’on tentait de recréer le divertissement conçu pour le Roi Soleil. L’opportune résurrection de la partition de Lully avait rejeté au second plan l’éclairage du spectacle à la bougie ainsi que le parlé ancien imposé aux acteurs : cela pouvait passer pour un tic, voire pour une coquetterie adolescente.

L’éclairage à la bougie, ou plutôt aux bougies, car il en faut quelques centaines pour retrouver le clair-obscur des tableaux de Georges La Tour, transforme l’opéra en Leçon de Ténèbres ! L’électricité, cette fée bienfaisante, ne permettrait-elle pas des éclairages tamisés qui font merveille sur les pastels des costumes choisis pour Cadmus et Hermione ? Je me trompe, peut-être, mais je ne mettrais pas ma main au feu qu’il n’y avait aucun projecteur dans les coulisses de la salle Favart : ce serait du reste très bien. Car les sectaires de la bougie recrutés par Eugène Green me rappellent fâcheusement ces partisans du retour à la nature, qui par opposition au mode de vie américain, s’opposent à tout recours aux antibiotiques, condamnant par là même leurs enfants à une mort certaine.

Le pire, c’est que cette pseudo-prononciation à l’ancienne – quel enregistrement prouve, en effet, que cela correspond à la vérité de l’histoire, - éloigne de nous un art qu’on prétend nous restituer. Depuis, dans la même salle Favart, Le Carnaval et la Folie de Destouches a subi le même traitement patoisant et rustique par l’Académie d’Ambronay. On a donc bien affaire à une mode. Molière dont la langue drue est d’une incroyable modernité, pourra-t-il survivre sur la scène des théâtres si on le ridiculise ainsi aux oreilles du plus grand nombre des auditeurs qui ont pourtant le besoin le plus urgent d’accéder à sa pensée universelle ? Tout jeune académicien qu’il soit, notre ami Philippe Beaussant qui a tant fait pour la résurrection de l’œuvre de Lully, a tort assurément de défendre semblable billevesée, pour ne pas dire ineptie. Il a, bien sûr, le droit de prendre un plaisir raffiné à entendre notre langue sonner de la sorte. Mais notre culture classique doit-elle être réservée à quelques happy few ? Je n’en crois rien.

Ce que je reproche à l’équipe de Benjamin Lazar, mais certes pas à Vincent Dumestre et à son Poème Harmonique, c’est de ne pas avoir pris la mesure exacte de la révolution qu’a représenté la recréation d’Atys, le chef-d’œuvre né de la collaboration de Lully et Quinault (Cadmus n’est qu’un premier essai plutôt raté, mais c’est une autre histoire…). Sans l’admirable travail de Jean-Marie Villégier qui s’est posé de vraies questions d’homme de théâtre - à savoir comment toucher la sensibilité de nos contemporains ? - jamais le mouvement baroque n’aurait réussi à s’imposer de façon aussi définitive. Et je ne suis même pas sûr qu’on en parlerait encore aujourd’hui… Car si la mise en scène signifie bien direction d’acteurs, Benjamin Lazar se contente ici d’imposer aux chanteurs une gestique stéréotypée sortie tout droit de grimoires poussiéreux, plus ridicule qu’expressive.

Je n’aurai pas la cruauté de remarquer que pour des artisans aussi à cheval sur l’authenticité et la vérité historique, ils se sont montrés beaucoup moins vétilleux sur l’intégralité de la partition… Il est vrai que ce n’est pas du meilleur Lully. Alors fallait-il faire choix de cet ouvrage ? Restons en à son traitement qui représente une régression redoutable par rapport au travail réalisé sur Atys par Christie et Villégier. Les plus anciens d’entre nous ont connu les productions à l’ancienne d’opéra français financées dans un souci absolu d’authenticité pour feu le Festival de Versailles par Mme Lalandi, une charmante vieille Anglaise première mécène de John Eliot Gardiner et de son orchestre baroque !

Gardiner vient justement de se distinguer l’autre week-end (Pleyel 2/02) en mettant en difficulté le célèbre LSO (London Symphony Orchestra) en prétendant le « baroquiser ». C’est Beethoven qui a servi de cobaye : la démarche de Gardiner à l’égard de cet orchestre moderne se situe aux antipodes de celle de Nikolaus Harnoncourt avec la Philharmonie de Vienne ou le Concertgebouw d’Amsterdam ! Le pupitre des violons était aussi débandé dans la 2e Symphonie de Beethoven qu’avec les plus mauvaises de nos phalanges…Quant à l’œuvre, on eût cru entendre la 105e Symphonie, londonienne bien sûr, de Joseph Haydn ! Depuis qu’il a redonné ses lettres de noblesse à Léonore, première version de Fidelio, on sait que Gardiner en maîtrise joliment l’ouverture dite Léonore II. La 8e Symphonie de Beethoven ne subit pas sans dommage cette cure d’amaigrissement et ce retour en arrière. S’il a vraiment envie de passer Beethoven à la moulinette baroque, Gardiner possède l’orchestre ad hoc Romantique et Révolutionnaire qui a fait merveille dans Les Troyens de Berlioz : à quoi bon imposer un tel pensum aux excellents musiciens du LSO… Ca n’est pas très…fair play, Dear Sir John.

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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