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La Chronique d'Emilie Munera - Pas "drôle" le classique ?
Sortez vos cahiers et vos stylos, nous allons aujourd’hui évoquer une question importante : faut-il être drôle pour parler de musique classique ? Peut-être trouverez-vous le sujet étrange mais pour moi, dont c’est la vie professionnelle depuis un moment déjà, il est loin d'être anecdotique. Quand j’annonce travailler à France Musique et donc aimer la musique classique, on me répond souvent : 1) que c’est un genre de musique élitiste 2) qu’écouter des émissions de musique classique “n’est pas drôle” (variante 1 : c’est trop pointu / variante 2 : c’est triste).
Voilà de bien étranges réflexions. Que l’on n’apprécie ou non la musique classique ne me pose évidemment aucun problème (bien qu’il soit étonnant de ne pas trouver son bonheur à travers dix siècles de musique). Que l’on se sente mal à l’aise avec le cérémonial parfois guindé du concert me paraît concevable (la peur de ne pouvoir bouger sans s’attirer un regard noir de son voisin ou celle d’applaudir à contretemps ont quelque chose d’angoissant). Mais reprocher à la musique classique de ne pas être “drôle” ... Que peut bien cacher ce mot ? Qu’essaye-t-on de nous dire ? Et pourquoi n’est-il employé que pour parler de musique classique ?
On a coutume d'opposer l'Allemagne, terre de musique, à la France, terre de littérature. Cela explique peut-être pourquoi le reproche n’est donc pas fait aux écrivains ou aux journalistes littéraires et culturels comme Bernard Pivot, François Busnel ou Augustin Trapenard. Ils jouissent encore dans notre pays d’une cote de popularité que la musique classique n’a plus depuis longtemps. Et qu’elle a pourtant connu dans les années 1970 : les musiciens classiques étaient alors conviés par les médias et se sont même mis en scène dans des programmes populaires… et “drôles” ! On se souvient du passage de Jean-Pierre Rampal au Muppet Show ou de la gouaille de Pierre Barbizet face à Casimir dans L’Île aux Enfants. Les sœurs Labèque étaient invitées partout (et ont par la suite été adoubées par Madonna), Maurice André plaisantait au Grand Echiquier et on se passionnait pour les frasques de Samson François. Mais avec le temps, les émissions culturelles se sont raréfiées : la France, patrie du livre, a sauvé ses émissions littéraires, mais pas celles de musique classique qui ont peu à peu disparu, intéressant un cercle de plus en plus restreint (la diversité des styles musicaux et le faible investissement dans l'éducation musicale n’ont pas aidé). Comme on ne la voyait plus, elle n'apparaissait plus comme désirable pour une partie du public – pourtant prêt à payer des centaines d’euros pour un concert pop. Pire, nos musiciens, aux yeux du grand public, ont fini par sembler déconnectés du monde qui les entoure.
La diversité des artistes de ce milieu et leurs modes d’expression sont pourtant extrêmement variés. Côté concert par exemple, il y en a pour tous les goûts, du plus classique au plus original. Les Néerlandais du Dogma Chamber orchestra jouent debout pour être libres de leurs mouvements, sans chef, ni queues de pie. A l’instar de cet ensemble, la jeune génération s’est affranchie des codes parfois rigides de leurs aînés, cherchant à réduire la distance entre la scène et le public (le pianiste Francesco Tristano ou le claveciniste Jean Rondeau en offrent d’excellents exemples). A Radio France, la série “Les Visiteurs du National” accueille un soliste qui donne une première partie classique, avant d’en proposer une seconde mêlant jazz, improvisation ou musiques du monde. Et si vous trouvez les concerts trop longs, de nombreuses saisons d’orchestres et autres festivals proposent des concerts courts. La Folle Journée de Nantes en est le plus célèbre exemple mais partout ailleurs, ces formats fleurissent, comme à Lyon où vous pouvez profitez certains midis à l’auditorium d’un concert symphonique en 55 minutes chrono. Preuve que la musique classique, plus qu’aucun autre art, a su évoluer. Les efforts ne semblent pourtant jamais suffisants et les reproches restent identiques.
Que pouvons-nous y faire ? Gardez vos cahiers et vos stylos, c’est un autre sujet de réflexion… mais que nous allons sûrement avoir du mal à résoudre.
Emilie Munera
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