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La Chute de la Maison Usher de Debussy par la Compagnie Winterreise au cinéma L’Arlequin – Dans les secrets de la maison maudite – Compte-rendu
On se rendait au cinéma L’Arlequin avec curiosité, avec une pointe d’inquiétude aussi compte tenu de la réussite de la précédente version de La Chute la Maison Usher, présentée au Musée Henner en novembre 2021 et dont Laurent Bury avait souligné les qualités.(1) La nouvelle mouture du spectacle imaginé par Olivier Dhénin – cette fois représenté dans un cinéma et accompagné d’un film muet réalisé par le metteur en scène et directeur de la Compagnie Winterreise, avec le concours de Maison Dulac Cinéma – n’allait-elle pas altérer la force poétique et dramatique de ce que l’on avait tant apprécié deux ans auparavant ?
« Cet opéra inachevé permet de se réécrire à chaque représentation, dans chaque lieu où il se joue. Comme s’il se régénérait lui même, ne pouvant réellement figer ce que Debussy n’a pu terminer », écrit Olivier Dhénin à propos d’un spectacle né en 2018 à l’occasion du centenaire Debussy. Constat parfaitement fondé, se dit-on après avoir découvert ce que l'on peut qualifier de régénération cinématographique.
Grand atout de cette Chute, sa distribution, simplement parfaite (voix et clarté de la diction, autant que physique de l’emploi), n’a pas varié depuis l’origine. Les chanteurs sont donc on ne peut plus à même de suivre l’évolution et les renaissances de la production : Anne-Marine Suire (Lady Madeline), Alexandre Artemenko (Roderick Usher), Bastien Rimondi (Le Médecin), Olivier Gourdy (L’Ami). Au clavier, Emmanuel Christien est un acteur essentiel d’un spectacle qui trouve chez Debussy la solution à l’inachèvement de l’opéra en puisant dans les mélodies et les préludes du compositeur. Déjà en exceptionnelle osmose avec le drame dans la précédente version, le pianiste va plus loin encore cette fois sachant non seulement respirer avec les chanteurs-acteurs (les préludes choisis deviennent le support de formidables mélodrames où la musique semble avoir été pensée pour le texte), mais aussi avec l’image qui accompagne ce que Debussy qualifiait d’histoire « triste à faire pleurer les pierres ».
Un film muet écrit pour la musique : en tournant en début d’année – en un temps record ! – dans la grisaille et la froidure de l’hiver au bois de Vincennes, dans un hôtel particulier parisien de style néo-gothique et au lycée Jacques-Decour (avec ses étonnantes collections de moulages de plâtre et d’histoire naturelle), Olivier Dhénin a trouvé les lieux idoines pour traduire l’atmosphère de la nouvelle d'Edgar Poe – avec à ses côtés Anne Terrasse, (directrice de la photographie) et Mathilde de Romcfort (montage). On y trouve les interprètes de l’opéra (qui en parallèle évoluent sous l’écran ou dans la salle, le piano étant placé à cour), mais aussi de jeunes comédiens – excellents ! (2) – qui les figurent enfants et adolescents.
Les images filmées se marient souvent à l'opéra de nos jours – sans forcément toujours faire un heureux ménage ! Certes parfois belles, elles parasitent aisément l’attention du spectateur. On n’est que plus admiratif du travail d’Olivier Dhénin. Nullement redondant, il ne plombe jamais le déroulement de l’œuvre mais, tout au contraire, par le nombre de fenêtres qu’il ouvre sur la psyché de Roderick et de Madeline – terreurs enfantines, montée de la névrose chez les deux adolescents, désir incestueux ... – nous entraîne dans les lourds secrets de la maison maudite sur laquelle un noir oiseau de malheur plane.
Déjà important dans la précédente version le rôle du médecin – et la dualité de son personnage (soignant ? meurtrier ?) – prend plus de force avec l’ajout d’un intermède (accompagné par Les Soirs illuminés par l’ardeur du charbon, pièce pour piano de 1917 longtemps restée inédite, et la Berceuse pour la Tragédie de la mort ; excellents choix), « entracte », pour reprendre le mot d’Olivier Dhénin, qui nous montre la perdition et la folie de Madeline – manière de tout à la fois complexifier et éclairer les arrière-plans du drame.
Impossible de raconter cette Chute de la Maison Usher repensée, il faut en faire l’expérience, aussi prégnante que troublante. On espère qu’après les trois représentations à L’Arlequin, très suivies et applaudies, on pourra retrouver un spectacle aussi singulier qu’infiniment adaptable dans d’autres cinémas – ou dans des théâtres. Avis aux directeurs de salles qui, en ces temps de disette budgétaire, cherchent des spectacles économes de moyens et de grande qualité toutefois : ils en tiennent un ici – et de premier ordre !
Alain Cochard
Paris, Cinéma L’Arlequin, 11 mars 2023 // www.winterreise.fr/
(1) www.concertclassic.com/article/la-chute-de-la-maison-usher-de-debussy-par-la-compagnie-winterreise-au-musee-henner-claude
(2) Garance Farge (Madeline enfant), Noémie Favre (Madeline adolescente), Valentin Farge (Roderick enfant), Tristan Farge (Roderick adolescent)
Photo : Valentin Farge (Roderick enfant) © Cie Winterreise
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