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La Forza del destino selon Yánnis Kókkos à l’Opéra de Montpellier – La force tranquille – Compte-rendu

 

Un épisode méditerranéen pèse sur Montpellier. L’amoncellement des nuages (en vidéo) envahit également la vaste scène du Corum durant l’ouverture. Magnifique occasion de savourer la direction généreuse et précise du nouveau directeur musical, Roderick Cox. Tout est en place, tout brille, tout chante. Et quels pupitres solos, notamment celui de la clarinette, qui met en confiance les interprètes sur le plateau immense et noir, avec ses décors obliques et stylisés, signature de Yánnis Kókkos, aujourd’hui âgé de 80 ans, célèbre sur les scènes lyriques des années 1980.
Une vision classique à l’esthétique post-moderne, laissant une grande liberté à un jeu d’acteurs maîtrisé, accompagné des nombreux mouvements des choristes. On trouve des références visuelles à James Ensor et à la guerre de 14-18. Rien ici ne prêtera à controverse, bien que le livret de Francesco Maria Piave, avec ses allusions au colonialisme espagnol, mérite aujourd’hui des approches plus audacieuses. Réfléchir au personnage d’Alvaro, ce métis d’Inca et d’Hispanique rejeté par la caste du sang pur, les Calatrava, sied mieux aux metteurs en scène comme Tobias Kratzer ou David Hermann.
 

© Marc Ginot - OONM
 
Dans cette production sage et vintage, l’essentiel est ailleurs. Kókkos sait s'effacer pour servir les interprètes. Alvaro, incarné par le ténor franco-tunisien Amadi Lagha, très remarqué ici dans Tosca (2022) (1), offre, après un premier acte réservé, une impressionnante incarnation de ce héros condamné par le poids social, mêlant émotion et puissance déchirante. Face à lui, Stefano Meo est un Don Carlos complexe et cruel, livrant une prestation mesurée. Sa voix est belle, mais le baryton italien reste trop sur la réserve et n’explore pas pleinement son personnage, rongé par la vengeance.
 
Ce verdi de 1869 met principalement en avant les deux héros masculins, dans un mélodrame où l’intrigue tragique se dilue en scènes de foule anecdotiques, entre réjouissances bohémiennes, camp militaire et la fureur plébéienne. Heureusement, Éléonore Pancrazi, en Preziosilla, mezzo pleine de vitalité, anime avec sa verve le fameux Rataplan, Rataplan. Les chœurs combinés (2) de l’Opéra national de Montpellier Occitanie et de l’Opéra de Toulon (où le spectacle sera repris) enchantent un public enthousiaste du début à la fin.

 

© Marc Ginot - OONM

 
Montpellier se distingue toujours par une distribution soignée des seconds rôles mettant en avant les talents en devenir. On note la performance de Séraphine Cotrez en Curra, de Laurent Sérou en alcade, ainsi que celle des soldats Alejandro Fonte, Xin Wang et Hyoungsub Kim. Le Frère Melitone de Leon Kim est remarquable de drôlerie, parfait contrepoint au prieur bienveillant incarné par Vazgen Gazaryan. Un coup de projecteur plus que mérité pour Yoann Le Lan en Trabucco : son ténor puissant, impeccablement placé, pourrait sans difficulté assumer le premier rôle, et c’est tout le bien qu’on lui souhaite.

 

© Marc Ginot - OONM

 
Enfin, la tant attendue Leonora, avec son célèbre « Pace mio Dio », en toute fin de spectacle, permet la découverte de Yunuet Laguna, jeune Mexicaine au timbre fruité, velouté, émouvant. Et comme aller à l’opéra, c’est également se rappeler toute une galerie de voix légendaires, on songe là aux grandes Verdiennes, telles Anita Cerquetti et Magda Olivero. Cette voix, encore en devenir, dispose des mêmes capacités de tendresse, de panache, et surtout de la rarissime morbidezza.
 
Vincent Borel
 

(1) www.concertclassic.com/article/tosca-selon-rafael-rvillalobos-lopera-de-montpellier-le-sexe-et-leffroi-compte-rendu

(2) Respectivement préparés par Noëlle Gény & Christophe Bernollin 
 
Verdi : La Force du destin (version 1869)– Montpellier, Opéra Corum, 22 septembre ; prochaines représentations les 24 et 27 septembre 2024 // https://www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenements/la-force-du-destin-verdi/
Reprise à l’Opéra de Toulon les 18 et 20 octobre 2024 // www.operadetoulon.fr/
 
Photo © Marc Ginot - OONM
 

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