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La Lettre des sables en création mondiale à l’Opéra de Bordeaux - Une recherche virtuose du temps perdu – Compte-rendu
Création mondiale, La Lettre des sables, opéra de Christian Lauba (né en 1952) sur un livret de Daniel Mesguich, constitue la première incursion du compositeur bordelais dans le domaine lyrique. Metteur en scène de son propre livret en quatre actes, Daniel Mesguich dessine un parcours poétique très virtuose mais un peu bavard, voire abscons, qui permet de lier avec brio différentes époques - du Moyen Âge jusqu’à nos jours -, en s’inspirant avec liberté « La Machine à explorer le temps » d’H.G. Wells
L’histoire de la quête amoureuse d’un homme qui recherche la femme qu’il aime, disparue au cours d’une tempête, permet une mise en abyme dont la scénographie de Csaba Antal rend compte dans des décors somptueux subtilement éclairés par Mathieu Courtaillier. Du théâtre dans le théâtre entre cérémonie gothique dans un monastère, soirée costumée dans un palais du XVIIIème siècle aux relents sadiens, tempête impressionnante digne du Vaisseau fantôme. Un exercice qui permet à Mesguich de jouer sur plusieurs niveaux avec le savoir-faire théâtral qu’on lui connaît. Sont convoqués Dante, Shakespeare, Bergson, Proust, Borges, Einstein ou Freud, ainsi que les références aux grands mythes fondateurs de la civilisation occidentale.
La musique de Christian Lauba ne renie aucune influence tout en restant attachée à la tonalité. Elle exploite habilement les différents épisodes d’une trame discursive complexe mêlant simultanément passé et présent dans une vision cinématographique. Le compositeur allie unité, fluidité et sens narratif, recourant à des collages, voire à des anachronismes à la manière de Richard Strauss dans Le Chevalier à la rose. Influences jazzy, valses du XIXème siècle réécrites à la mode d’aujourd’hui, grands airs lyriques connotés jalonnent un discours très structuré, imaginatif et dont l'écriture subtile aide à la compréhension dramatique de l’intrigue.
Constitué de cinq chanteurs, le plateau doit faire face à la difficulté d’une partition qui exploite les registres les plus tendus au détriment parfois de la diction. Toutefois, la Mira de Bénédicte Tauran ou la remarquable Lira de Daphné Touchais tirent parfaitement leur épingle du jeu. Du côté masculin, on saluera l’incarnation émouvante de Christophe Gay tour à tour Vieil Homme et Karl vieux, celle engagée d’Avi Klemberg en Karl jeune et le Frantz de Boris Grappe. Le jeune chef canadien Jean-Michaël Lavoie anime avec énergie et précision un Orchestre National Bordeaux Aquitaine de configuration réduite à vingt-deux musiciens auxquels s’ajoutent l’excellent pianiste Thomas Besnard (également chef de chant) et le saxophoniste Richard Ducros très sollicité sur le plan rythmique.
Deux heures vingt d’une musique dense et du plus grand intérêt sur un texte onirique parfois envahissant. Une réussite globale cependant, à mettre à l’actif de l’Opéra National de Bordeaux.
Michel Le Naour
Lauba/Mesguich : La Lettre des sables (création mondiale)- Bordeaux, Grand-Théâtre, 29 avril 2014
Photo © Frédéric Demesure
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