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La Mort de Tintagiles aux Bouffes du Nord - Pénétrant clair-obscur - Compte-rendu
Dans le cadre d’une programmation toujours affriolante, le Théâtre des Bouffes du Nord accueille La Mort de Tintagiles. Il s’agit de la pièce de Maeterlinck écrite en 1894 pour un théâtre de marionnettes, mais revisitée sous forme de « théâtre musical ». Formule que reprend à son compte Denis Podalydès, tout en la sachant « assez creuse » ; en allusion peut-être à ce que véhicule cette terminologie dans la musique contemporaine des années 80 (où on se défiait tant du terme « opéra »). Bref, le « théâtre musical » en question consiste ici à nimber de musique une pièce de théâtre. Ce n’est pas forcément nouveau, depuis Molière et Lully par exemple. Dont précisément Podalydès avait donné leur Bourgeois gentilhomme en ces mêmes Bouffes du Nord en 2012 (1). Succès qui l’avait incité à persévérer peu après dans cette démarche, avec Les Méfaits du tabac de Tchékhov (2).
C’est avec son complice du Bourgeois, Christophe Coin, que le metteur en scène venu de la Comédie-Française conçoit le spectacle. Avec l’incomparable talent qui lui est coutumier. Pour ce faire, la pièce est pourvue d’un prologue, fragments de Pour un Tombeau d’Anatole, drame non mené à bien par Mallarmé après la mort de son fils, dont le texte est récité et projeté. Et dès les premiers instants, parmi la pénombre, la musique s’installe : puisée à une quinzaine de pages, de Satie à Tobias Hume, de Bartók à Berio, mais aussi de Jean Nougues (1875-1932) à Charles Loeffler (1861-1935) et Eugène Cools (1877-1936). Ces derniers, avec Alexandre Voormolen (1895-1980) et Vaughan Williams, compositeurs qui s’étaient inspirés du Tintagiles de Maeterlinck. Auteur dramatique décidément prétexte florissant des musiciens de son temps (entre Debussy, Dukas, Lilli Boulanger, Chausson ou Chostakovitch). Dans le cas qui nous occupe, les pages musicales sont transmises et transposées par le violoncelle d’amour et baryton à cordes de Coin, l’alto d’amour et viole de Garth Knox, vibrant par « sympathie », pour constituer le halo sonore continu de la soirée. Déjà, une part de rêve.
Les acteurs (Adrien Gamba Gontard, Leslie Menu, Clara Noël et Knox lui-même), livrent alors la pièce dans un jeu évanescent, qui tient du murmure et de la méditation, pour conter les destin funeste du petit enfant Tintagiles de retour dans un château fantomatique. Du pur Maeterlinck. Les images de cette allégorie à peine esquissée oscillent dans un clair-obscur baroque, tout juste éclairé d’une bougie et de vagues projecteurs, à travers une esthétique picturale qui évoque Murillo ou Georges de La Tour. Le grand art ! L’effet serait saisissant, sinon que le moment concourt à plonger dans l’impénétrable, entre immatérialité et « presque rien » (pour citer Vladimir Jankélévitch, lui-même emprunté à Baltasar Gracián).
Pierre-René Serna
1) Spectacle repris aux Bouffes du Nord, du 26 juin au 26 juillet 2015
2) Voir notre compte-rendu : http://www.concertclassic.com/article/les-mefaits-du-tabac-aux-bouffes-du-nord-un-tabac-compte-rendu
La Mort de Tintagiles, d’après Maurice Maeterlinck (théâtre musical conçu par Denis Podalydès et Christophe Coin) – Théâtre de Bouffes du Nord, Paris, 20 mai. Jusqu’au 28 mai, 2015, spectacle repris du 5 au 7 novembre au Trident de Cherbourg-Octeville.
http://www.bouffesdunord.com
Photo © Pascal Gely
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