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La Passion selon saint Jean selon Sasha Waltz au Théâtre des Champs-Elysées – Mouvement et envoûtement – Compte-rendu
La question de savoir s’il convient ou non de théâtraliser les Passions et autres oratorios, messes et requiem ne se pose plus depuis que de grands noms de la mise en scène et de la danse se sont emparés avec succès de ces ouvrages. Neumeier, Wilson, Sellars, Castellucci ont apporté leurs univers, leurs regards et leurs sensibilités au point de transformer ces œuvres spirituelles en spectacle total, conduisant à la fusion entre l’intime et le drame. La célèbre chorégraphe allemande Sasha Waltz n’en est pas à son coup d’essai et son goût pour la musique et les grandes fresques lyriques (on se souvient de Passion de Dusapin) n’a pas échappé à Leonardo García-Alarcón qui lui a proposé de chorégraphier la Passion selon saint Jean de Bach à l’occasion du tricentenaire de l’ouvrage.
© Mirco Magliocca
Pour éviter tout hiératisme son approche prône le mouvement, chœur, danseurs, chanteurs et solistes de l’orchestre rendant plus palpables les souffrances éprouvées par Jésus, de son arrestation à sa crucifixion et sa mise au tombeau. Cette étreignante et sublime montée au calvaire est à la fois musicale et visuelle, Waltz imaginant un plateau quasiment nu où les exécutants se croisent, se mêlent, s’entrechoquent ou s’enlacent ; les membres du Chœur de chambre de Namur (et du Chœur de l’Opéra de Dijon, où le spectacle a été créé en mars dernier) se déplacent en dansant, les chanteurs sont traités comme des personnages et évoluent au milieu des danseurs et – quelle trouvaille ! – un membre de l'orchestre, le violoniste Yves Ytier, se fait aussi danseur.
© Mirco Magliocca
On connaissait Sasha Waltz pour sa capacité à créer en un instant d’irréels enchevêtrements de corps-sculptures (depuis Körper en 2000), elle va plus loin encore ici dans ce maelström où s’imbrique chaque artiste quelque soit sa nature, sa fonction et son genre. Elle n’hésite d’ailleurs pas à distribuer le rôle du Christ à différents danseurs de la troupe ; homme, femme et non genré, démultipliant ainsi les points de vue et les raisons qui ont poussé ses ennemis à le persécuter avant de demander sa mort.
L’absence de fosse d’orchestre, la répartition des musiciens de chaque côté de l’avant-scène, les chœurs à la fois sur scène et assis dans le public, les danseurs omniprésents au plateau et parfois dans la salle, apportent une incroyable densité au récit de ce chemin de croix tourmenté, dont certains tableaux rappellent ouvertement les plus belles scènes de lamentation ou de déploration tirées de peintres tels que Tintoretto, Caravaggio ou Ribera. Le travail des lumières au clair-obscur soigné (David Finn), les musiques additionnelles assourdissantes (Diego Noguera) et les costumes au lin aérien et transparent (Bernd Skodzig) participent aussi à la beauté et à la singularité d’une lecture envoûtante. À chaque étape douloureuse, les corps tantôt nus pour être vêtus (le spectacle débute sur la fabrication en direct de la tunique du Christ par onze danseurs dans le plus simple appareil, qui s’activent sur des machines à coudre dans un grondement d’usine terrible), tantôt dénudés pour montrer le dénuement absolu et rechercher le contact et la chaleur de l’autre, sont volontairement présentés de façon radicale.
© Mirco Magliocca
En accord avec une partition obsédante par ses ostinati, ses cordes lancinantes ou ses grandes envolées chorales, les parties dansées sont admirables de sauvagerie et de douceur mêlées et l’émoi qu’elles suscitent par leur sensualité et la précision de leur exécution ne fait que renforcer un long cérémonial frappé par d’incessantes turbulences. Le calme et la sérénité qui se font sentir juste avant le dernier choral « Christe, du Lamm Gottes » n’en étant que plus exacerbés.
La direction inspirée de Leonardo García-Alarcón à la tête de Cappella Mediterranea, constitue l’indispensable chaînon qui relie l’art de la scène à celui de la fosse, le chef réussissant l’exploit de rendre cette monumentale fresque accessible et immédiatement sensible. Les solistes tous dévorés par un feu intérieur, déroulent leur chant limpide avec la rigueur et le naturel requis dans de telles œuvres, leurs bouleversantes interventions culminant dans l’universel et poignant « Es ist vollbracht », magnifiquement interprété par la voix angélique et profonde du contre-ténor Benno Schachtner dont les lamentations sont accompagnées par la viole de gambe. Si le Pylade du baryton Georg Nigl est éblouissant de stature et de timbre, comme le Jésus au registre grave subtilement déployé de Christian Immler, entouré par l’élégant ténor Mark Milhofer et la gracieuse soprano Sophie Junker, l’Evangéliste de Valerio Contaldo livre une prestation digne des plus grands éloges, captivante en tous points.
François Lesueur
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Paris, théâtre des Champs-Elysées, 5 novembre 2024
Photo © Mirco Magliocca
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