Repris en main par Samuel Jean (photo) depuis janvier 2013, l’Orchestre Régional Avignon Provence vient de donner une preuve supplémentaire de l’orientation française et des choix de répertoire originaux qui le signalent dans le paysage hexagonal depuis l’arrivée de son premier chef invité. On a en effet retrouvé ce dernier à la baguette pour une vraie rareté : La S.A.D.M.P, La Société Anonyme des Messieurs Prudents si vous préférez, de Sasha Guitry et Louis Beydts (1895-1953). La renaissance de cette partition délicieuse marque la suite de la série « Sacha Guitry en musique » lancée par S. Jean et l’Orchestre Régional Avignon Provence chez Actes Sud – la carrière de librettiste de l’écrivain fut riche ; la matière ne manque pas ! Après une très belle version de L’Amour Masqué (musique d'André Messager), sortie l’an dernier, les musiciens avignonnais ont entrepris d’enregistrer La S.A.D.M.P. Le concert auquel on assistait tenait lieu de prélude à cette session.
 
Société Anonyme Des Messieurs Prudents ? Quatre messieurs - un jeune homme, Henri, un grand industriel, un gros commerçant, un conte, le moins vaillant du lot - et une charmante et facile jeune femme (désignée par un simple Elle) habitant au 5^ème étage d’un immeuble. Ils la convoitent tous les quatre mais, méfiants face à ses coûteuses envies, préfèrent mutualiser les dépenses. Les plaisirs ? Au prorata ! : deux jours pour chacun, hormis le conte qui se contentera du dimanche – « N’est-ce’pas le jour du bon vieux » ! ?
 
Bref, du Guitry première pression à froid ! Un esprit inimitable auquel la partition de Beydts répond une cinquantaine de minutes durant, sans un temps mort. Derrière l’atmosphère 1930 (l’orchestre comprend un piano et une batterie) que d’art et de finesse ; l’auteur n’a pas été par hasard élève de Messager… Créé au Théâtre de la Madeleine le 3 novembre 1931, avec Yvonne Printemps en Elle, La Société (Des Admirateurs de Madame Printemps ? ) remporta un beau succès. La fructueuse collaboration de Guitry et Beydts à la scène comme au cinéma commençait.
 
On sait gré à Samuel Jean d’avoir tiré ce petit bijou de l’oubli, grâce aux conseils de Christophe Mirambeau (qui aura pour l’occasion réalisé une édition chez Salabert). Il assurait également la présentation de la soirée et signait la mise en espace de l’ouvrage. Trois bouts de ficelle, tout juste, et une équipe de rêve : Isabelle Druet (Elle), Mathias Vidal (Le Gros Commerçant), Jérome Billy (Henri), Thomas Dolié (Le Conte Agénor de Machinski) et Dominique Côté (Le Grand Industriel).
Foin de la psychologie, c’est de la saveur des mots, de la jubilation des vers, de l’énergie du texte – et de l’acuité du regard du grand Sasha sur la société - dont il faut se servir ici ; ce que C. Mirambeau a parfaitement compris. Sûr de pouvoir s’appuyer sur la direction à la fois vivante et charmeuse de Samuel Jean, dont les instrumentistes prennent un plaisir palpable à défendre ce répertoire, il pousse les cinq chanteurs à s’abandonner avec délectation, mais sans rien de caricatural, à leurs rôles respectifs. On bout d’impatience de découvrir le livre-disque prévu pour la fin de l’année.

En première partie, le chef avait su mettre son auditoire dans le bain 1930 avec la délicate Ouverture pour une opérette imaginaire de Jean Rivier, le lyrique Intermezzo d’Arsène Lupin banquier de Marcel Lattès, la tendre et piquante Suite d’orchestre du Roi Pausole (dont c’était semble-t-il la création en concert) et Hue ! de Beyts.
 
« En France, on méprise la musique légère, on n’aime que la musique ennuyeuse », regrettait ce dernier. Que de trésors pourtant à redécouvrir notre répertoire dit "léger" ... On l’a déjà écrit, il mériterait qu’un théâtre lui soit spécifiquement dédié à Paris – après tout, il ne courrait que le risque d’être plein tous les soirs… Pour l’instant, s’agissant de Guitry, les choses se passent à Avignon. Bravo à Samuel Jean et à ses troupes ! L’Amour masqué, La S.A.D.M.P. … La suite, vite !
 
Alain Cochard
 
Guitry/Beydts : La S.A.D.M.P (version mise espace) – Avignon, Opéra, 27 mars 2015.