Journal

​La Tempête d’Alphonse Duvernoy au Temple du Luxembourg – Donnons des ailes à l’Oiseleur ! – Compte-rendu

 
Mécènes, que faites-vous ? Pourquoi aucune bonne (et riche) fée ne s’est-elle encore penchée sur le berceau de la Compagnie de l’Oiseleur, qui rend pourtant à la musiques d’aussi loyaux et irremplaçables services ? Depuis des années, Jacques-François Loiseleur des Longchamps s’attache à faire revivre tout un répertoire français hélas délaissé, tant dans le domaine de la mélodie que dans celui de l’opéra : on lui doit la résurrection d’œuvres aussi admirables que Nausicaa de Reynaldo Hahn ou La Belle au bois dormant de Guy de Lioncourt. Pourtant, pas un centime de subvention publique ne lui est versé, et il ne peut pas non plus compter sur la manne que constituerait la fortune personnelle d’un généreux protecteur des arts qui déciderait de financer toutes ses activités.
 

Alphonse Duvernoy (1842-1907) © wikipedia.org

Son travail le mériterait pourtant amplement. Il y a peu, un nouveau filon s’est ouvert, avec l’exploration des œuvres présentées dans le cadre du Concours de la Ville de Paris. En mars 2020, on avait pu ainsi redécouvrir Lutèce superbe symphonie dramatique d’Augusta Holmès, soumise audit concours en 1878 mais non récompensée. En 1880, la compositrice eut plus de chance avec Les Argonautes, qui lui valut la mention « Très Honorable », le Premier Prix étant décerné à Alphonse Duvernoy (1842-1907) pour La Tempête, poème symphonique pour orchestre, solistes et chœurs sur un livret d’Armand Sylvestre et de Pierre Berton d’après la pièce de Shakespeare.
 

Romain Vaille © compagniefortunio.fr

Compte tenu du scandaleux manque de soutien financier, la Compagnie de l’Oiseleur ne peut évidemment exécuter la partition dans son intégralité. Le chœur Fiat Cantus, dirigé par Thomas Tacquet-Fabre, intervient à plusieurs reprises, et on lui sait gré de sa participation, mais il était bien sûr impossible, dans le cadre restreint du Temple du Luxembourg, d’inclure le chœur à seize voix conçu pour la scène de chasse, par exemple. On est également reconnaissant au pianiste et chef de chant Romain Vaille de porter à bout de bras la transcription pour piano, et les beautés que l’on entend sous ses doigts donneraient bien envie d’entendre l’orchestration de Duvernoy qui, pour les voix, propose une écriture clairement influencée par tout l’opéra et l’opéra-comique français de son époque, Gounod, Bizet et Ambroise Thomas n’étant jamais loin. On retrouve aussi les composantes obligées du genre lyrique : duos d’amour, chanson à boire, mais aussi, compte tenu du sujet, ce merveilleux en musique dont le XIXe siècle fut friand et pour lequel, curieusement, Duvernoy semble parfois se souvenir ici de la bacchanale de Tannhäuser. Par chance, de fort belles jeunes voix ont été trouvées pour succéder aux immenses gosiers qui créèrent l’œuvre en 1880.
 

Olivier Déjean (Caliban) © Dora Douih

Le personnage le plus délicat à cerner est sans doute Ariel, rôle forcément travesti, mais pour lequel Duvernoy ne se contente pas de la fée colorature que Massenet emploiera encore vers 1895 dans Cendrillon : Aurélie Ligerot relève ici le défi d’exigences vocales tout autres, parfois au détriment de la diction, mais tire son épingle du jeu avec brio. L’autre personnage surnaturel, Caliban, est plus traditionnellement confié à une basse : Olivier Déjean y fait valoir un timbre d’une noirceur magnifique et une intensité dramatique parfaitement appropriée. Prospero est logiquement baryton, et Jacques-François Loiseleur des Longchamps déploie toute son expérience du chant pour servir comme il convient ce personnage majestueux, pour lequel l’aigu est très sollicité. Ferdinand est naturellement ténor, et c’est une chance qu’une fois de plus Enguerrand de Hys prête son concours à ce genre d’opération, montrant ainsi qu’il est capable de bien davantage que les rôles de caractère où le confinent les théâtres. Miranda, enfin, est une héroïne sur le modèle de la Marguerite de Gounod, sa découverte de l’amour évoquant aussi le rôle-titre de Lakmé trois ans plus tard : Erminie Blondel s’y révèle éblouissante, confirmant les promesses déjà manifestées ici et là et laissant espérer bien d’autres belles incarnations à l’avenir.

Laurent Bury
 

Voir les prochains concerts de musique vocale à Paris et RP

Alphonse Duvernoy, La Tempête – Paris, Temple du Luxembourg, 26 juin 2024

Partager par emailImprimer

Derniers articles