Revoilà la désormais tristement célèbre production de Robert Carsen ourdie pour la réouverture de La Fenice en 2004. C'est peu de dire qu'un des rares naufrages de ce très bon metteur en scène a mal vieilli. Son argument est simple : faire de la prostitution l'unique ressort dramatique, dans un vert omniprésent, au cas où l'on aurait manqué l'analogie avec le dollar. Pluie de billets (et défilé de clients) dès l'ouverture, pluie de billets au moment du choeur des gitanes (ce qui se comprend déjà mieux), pluie de billets enfin comme les feuilles en automne dans la forêt choisie pour le premier tableau du deuxième acte ce qui, cette fois, confine franchement à l'obsession déplacée.

En soi, l'argument pourrait ne pas être sot, si seulement Carsen avait pris la peine de ne pas y réduire toute la musique, qui elle, passe son temps à dessiner les mille visages de l'amour et de la mort annoncée. Ni de noyer l'intégralité de sa production dans une couleur vert d'eau, sans doute pour nous rappeler la couleur du dollar. Ce qui devient incompréhensible, c'est sous prétexte de prostitution de tout réduire au cynisme. Le sublime solo de clarinette annonçant le duo tragique entre Violetta et Giorgio Germont finit par exemple massacré par un Alfredo s'improvisant subitement photographe (il était bien chanteur derrière son piano à queue au premier acte) pour mitrailler Violetta sous les feuilles (de monnaie, évidemment).

De là à penser que l'orchestre de La Fenice n'est lui aussi venu que pour l'argent, on serait peu à peu tenté de le croire au fil d'une représentation sans âme, où la baguette de Renato Palumbo a mis plus de soin et d'entrain à jouer l'hymne italien en ouverture obligatoire sous les chants des ouvreurs, qu'à dessiner le moindre théâtre verdien, le moindre contraste, ou à écouter les chanteurs. Pourtant, on les entend ! En Alfredo, le ténor géorgien Shalva Mukeria meugle tant qu'il peut son « misterioso », ne comprenant visiblement pas ce qu'il chante.

Le baryton coréen Seung-Gi Jung, lui, saura au finale montrer davantage de nuance, même si son duo avec la Ciofi confond un peu trop la rigidité avec l'autorité. Heureusement, la Ciofi, elle, a su depuis longtemps faire de la fragilité de Violetta une force. Elle incarne comme personne ce combat entre le corps et l'esprit dont Violetta est le théâtre. Ayant encore gagné en projection, constamment habitée par ce personnage qu'elle aime plus que tout autre, il ne lui manquait que des partenaires à sa hauteur pour retrouver la grâce qui la touchait à Orange il y a deux ans.

Malheureusement, elle fut bien seule. La Fenice, où fut créée La Traviata, semble aujourd'hui vouloir se réduire à un bel écrin pour rappeler aux touristes ce que fut le prestige italien. Plus un lieu de musique où l'on chercherait à retrouver le geste du génie verdien. Les choeurs et les figurants n'ont d'ailleurs même pas eu droit de saluer sous des applaudissements clairsemés. Quel mépris ! Il ne fait sans doute pas bon retarder les touristes qui s'en retournent place San Marco. Le chef s'y est bien employé en déroulant le plus vite possible une production désormais à bout de souffle. Mission accomplie ?

Luc Hernandez

Verdi : La Traviata – Venezia, Teatro La Fenice, 4 septembre 2011
www.teatrolafenice.it

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Photo : DR