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La Traviata à l’Opéra Royal de Wallonie (Streaming) – Une magistrale incarnation – Compte-rendu
Les liens qui unissent la soprano italienne au « rôle des rôles » ont maintes fois été évoqués et l’on comprend pourquoi en retrouvant cette interprète presque trente ans après ses débuts officiels dans ce titre à Livorno. Car tout dans le timbre de voix, l’intonation, l’expression, le regard et le geste est là, inscrit dans le corps et dans l’âme d’une artiste complète, qui pendant toutes ces années s’est mise au service de son art pour incarner au plus près un personnage de théâtre et de musique et le livrer au public. Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre, Ciofi, et c’est là l’apanage des cantatrices qui durent, condense aujourd’hui toutes ses Violetta chantées de Venise à Chicago, de Berlin à Orange, en passant par Madrid, Barcelone, Genève, Avignon, Munich, Tokyo, Strasbourg ou Milan en une seule, la sienne, celle sur qui s’est déposée la fine patine du temps, l’expérience, l’approfondissement, la recherche éperdue de la justesse et de la vérité traquée de l’une des plus belles héroïnes de l’histoire de l’Opéra. L’instrument toujours étroitement associé à la psychologie de Violetta n’a cessé d’évoluer avec le temps, nous offrant au passage tant de profils différents de la jeune insoumise à la créature maudite, de l’ingénue romantique à la victime expiatoire d’une société machiste. Maîtrisant son sujet comme personne, Ciofi apparaît aujourd’hui libérée et confiante, capable d’exprimer chaque linéament essentiel de ce rôle, tout en allant toujours plus loin en se livrant davantage et toujours sans compter.
La sobre mise en espace réalisée à partir d’une mise en scène de Stefano Mazzonis di Pralafera par Gianni Santucci lui permet ainsi de se déplacer et de s’accrocher à quelques éléments – une robe qu’elle retire avant « È strano », une poupée qu’elle enlace durant « Ah fors’è lui », des gants qu’elle jette ou un collier qu’elle arrache pendant « Sempre libera » - qui accompagnent son chant et justifient l’émotion de la « dévoyée ». Si les vocalises de l'acte 1 demeurent intactes (ut compris), on admire plus que jamais les nuances sollicitées par Speranza Scappucci, une cheffe décidément admirable, qui n’hésite pas à ménager les plus beaux effets en recourant à de vifs et audacieux changements de tempo et en particulier celles qui vont crescendo au second et au troisième acte.
Bouleversante face à Germont père, campé par un Giovanni Meoni un peu raide, mais convaincant, la Ciofi visage exsangue et désespéré nous étreint dans un « Alfredo, di questo cor » chanté archet à la corde comme dans un nuage épais. Cheveux défaits et traits tirés sous des lumières cures, son portrait touche au sublime au moment de la mort, d’abord dans un grandiose « Addio del passato » aux filati interminables, puis dans un pathétique « Parigi o cara », les dernières paroles de Violetta, exaltées, nous laissant le souffle coupé par tant d’intensité. Une leçon que bien des cantatrices devraient méditer…
Dmitry Korchak n’atteint pas les mêmes sommets en Alfredo, un rôle court et ingrat, mais il chante avec justesse et sans affectation, la Flora de Caroline de Mahieu, l’Annina de Julie Bailly et le Baron de Roger Joakim ainsi que le chœur, réparti dans tout l’opéra, apportant leur touche personnelle à cette inoubliable performance. Ne tardez pas, le replay n'est disponible que jusqu'au 18 avril !
François Lesueur
Photo © Opéra Royal de Wallonie
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