Journal

​L’Affaire Makropoulos selon Richard Brunel à l’Opéra de Lyon – All about Emilia/Elina/Eugenia… – Compte-rendu

 
Si l’on ne connaissait ni Jenůfa ni La Petite Renarde rusée, on pourrait croire que Janáček est un de ces compositeurs qui n’aiment pas écrire pour les voix. En effet, dans L’Affaire Makropoulos, c’est à l’orchestre qu’il réserve presque toute l’éloquence, en ne laissant la plupart du temps aux chanteurs qu’un discours dénué d’élan lyrique, correspondant au texte de la pièce dont est tirée le livret, texte que Karel Čapek lui-même jugeait « peu poétique et verbeux ». A quoi s’ajoute une (anti-)héroïne que son absence glaçante d’humanité devrait rendre antipathique, sans oublier une sombre histoire d’héritage dont la complexité a de quoi désorienter. On salue donc Richard Brunel d’avoir su, avec ces données de départ, concevoir un spectacle capable de captiver le spectateur, sans le moindre temps mort, qui respecte les données de l’action – les démêlés du procès Prus/Gregor n’ont peut-être jamais été rendus aussi clairement compréhensibles – tout en y introduisant une note bienvenue d’onirisme, quand Emilia Marty succombe brièvement à ses démons, ainsi incarné par un quintette de figurants chenus, rejoints par Hauk-Šendorf qui apparaît lui-même ici comme un fantôme plutôt que comme un personnage existant dans la même dimension que les autres.
 

© Jean-Louis Fernandez

 
L’univers opératique est mis en avant, bien au-delà du seul deuxième acte censé se passer dans un théâtre, la cantatrice tricentenaire souffrant visiblement de problèmes vocaux, d’où la présence régulière d’un médecin à ses côtés, et son succès inspirant la jalousie de la jeune Krista, partagée entre l’admiration et le désir de la remplacer aux yeux du public, comme dans All about Eve de Mankiewicz. La jeune fille devient un peu schizophrène, dans la mesure où lui sont confiées aussi les répliques de la Femme de chambre dévouée, mais elle perd le geste final car c’est ici Makropoulos elle-même qui jette au feu la formule d’immortalité. Tout en noir et or, le décor unique mais mobile de Bruno de Lavenère favorise la fluidité du déroulement et la représentation d’actions simultanées sans détourner l’attention de l’essentiel, les costumes situant l’intrigue quelque part au XXe siècle, l’héroïne apparaissant tantôt en robe lamé argent, tantôt en tailleur pantalon blanc et long manteau assorti.
 

© Jean-Louis Fernandez

À la cantatrice éternelle, Ausrine Stundyte (photo) prête un physique à la Katharine Hepburn, et son talent d’actrice bien connu, qui éclate notamment dans le superbe monologue final, la voix de la soprano lituanienne, habituée aux rôles les plus exigeants du répertoire moderne, se prêtant aux éclats d’un personnage au tempérament volcanique. Le ténor ukrainien Denis Pivnitskyi impressionne par la puissance qu’il confère à Gregor, à qui sa passion amoureuse arrache ici des accents véritablement expressionnistes. Tómas Tómasson est un Prus d’une belle noirceur, à la silhouette aristocratique. Chez Károly Szemerédy, on apprécie la volubilité qu’il donne à Kolenatý, tout en ayant l’autorité vocale nécessaire. Paul Curivici donne à Vitek tout le relief possible, malgré la briéveté de son rôle. Même augmenté comme on l’a dit plus haut, le personnage de Krista reste assez secondaire : il est joliment assumé par Thandiswa Mpongwana, soliste du Lyon Opéra Studio, tandis que Robert Lewis, issu de la même formation, incarne le personnage bien plus épisodique de Janek. Marcel Beekman est le ténor de caractère qu’appelle le ridicule comte Hauk-Šendorf, le Médecin ayant la voix de Paolo Stupenengo, membre des Chœurs de l’Opéra de Lyon.
 

Alexander Joel © alexanderjoel.com

Dans la fosse, l’Orchestre de l’Opéra ne propose pas une ouverture aussi fracassante qu’on l’entend parfois mais, guidé par Alexander Joel, il trouve les accents judicieux pour rendre pleinement justice à l’une des plus belles partitions de Janáček (même si les voix n’y sont pas aussi gâtées que dans ses précédents opéras).
 
Laurent Bury
 

Voir les prochains concerts en région Rhône-Alpes 

Leoš Janáček :  L’Affaire Makropoulos  – Lyon, Opéra, 14 juin ; prochaines représentations les 16, 18, 20, 22 et 24 juin 2024 // www.opera-lyon.com/fr/programmation/saison-2023-2024/opera/laffaire-makropoulos-1

Photo © Jean-Louis Fernandez
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles