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​ L’Amoureus Tourment : troubadours, trouvères et Guillaume de Machaut à l’Abbaye du Thoronet – Ensorcellement médiéval – Compte-rendu

 
Depuis 2022, les Musicales de l’abbaye du Thoronet essaient de maintenir une programmation à la hauteur du lieu malgré les restrictions budgétaires, incitant Jean-Marc Bouré, administrateur des monuments nationaux du Var, à faire preuve d’inventivité afin de multiplier les partenariats au-delà du seul Centre des monuments nationaux, avec notamment Château de Versailles Spectacles, l’Académie musicale de Villecroze et Musique à Notre-Dame de Paris. Pour cet avant-dernier concert de la troisième édition – le dernier fera entendre, le 19 octobre, la Maîtrise de Notre-Dame sous la direction de Marcel Pérès (1) – c’est une « véritable expérience intérieure sur la force et la magie du temps » qui nous était proposée, en compagnie de Pierre Hamon aux flûtes, Nolwenn Le Guern à la vièle et Marc Mauillon à la voix (2) – ardente réincarnation des premiers troubadours et des derniers trouvères – dans un voyage de trois cents ans à la rencontre de Guillaume de Machaut (vers 1300 -1377), « sans conteste le plus grand poète et le plus grand compositeur français du XIVe siècle », écrit Pierre Hamon, concepteur et directeur musical du projet (3).

 

© Francis Vauban

 
Intensité de l’écoute
 
Le voyage dans le temps poétique et musical de l’amour courtois, qu’ici en Provence on appelait « fin amor », commence dans l’espace nocturne de la forêt de chênes qui enserre le plus parfait exemple de l’architecture cistercienne. On est tellement loin de l’agitation du siècle que la résurgence du patrimoine semble aussi naturelle qu’une eau de source. Les fraîches soirées de septembre, cette année, interdisant le cloître, les trois musiciens d’un commun accord ont choisi de faire entendre L’Amoureus tourment dans l’acoustique exceptionnelle de l’abbatiale, qui ne pardonne rien, surtout pas la distraction, et ce dans les deux sens. Marc Mauillon, insoupçonnable sur ce point, rendait d’ailleurs hommage à l’intensité de l’écoute du public, certes pour la plupart connaisseur, voire initié, mais pas seulement ; ce qui démontre une fois de plus que la concentration est le plus efficace des remèdes à la toux …

 
La douceur et la colère, le désespoir et la résignation, le jeu et le feu
 
On n’aura pas ici le talent pour décortiquer les humeurs et les passions qui nous ont chavirés durant l’aventure. Elle commence au XIsiècle avec Guillaume IX d’Aquitaine, comte et duc, le plus ancien poète occitan connu, grand-père d’Aliénor ; se poursuit au XIIavec Bernard de Ventadour et Richard Cœur de Lion, fils d’Aliénor, roi d’Angleterre et poète-musicien lui-même – dans la voix de Marc Mauillon, sa complainte de prisonnier tonne d’une fureur insoupçonnée ; elle conduit ensuite, passant à travers les accents celtiques de la « matière de Bretagne » revendiqués par Pierre Hamon, au XIVsiècle de Guillaume de Machaut et de son lai de jeunesse, Loyauté que point ne delay. Une immense demi-heure hypnotique, des centaines de vers virtuoses sur une seule mélodie, parfaite en ce qu’elle supporte la répétition tout en s’enrichissant d’infimes ornements. Tout ici tient et s’enroule sur un vocabulaire d’enluminure, loin de la révolution de vitrail polyphonique de l’Ars nova que Machaut mène en parallèle. On entend alors, comme amplifiés par le grain de la pierre, la douceur et la colère, le désespoir et la résignation, le jeu et le feu.

 

Nolwenn Le Guernn, Marc Mauillon et Pierre Hamon © Francis Vauban 

Il y a de l’enchantement dans le dialogue permanent entre les instruments, dans le fondu impalpable de la voix et de la vièle, dans les veloutés improvisés des longues flûtes. Mieux, le voyage dans le temps et dans l’espace semble nous autoriser à des correspondances musicales inattendues – et semble-t-il pas si incongrues : le raga indien – Pierre Hamon est disciple du flûtiste hindoustani Hariprasad Chaurasia ; les musiques populaires traditionnelles naguère restaurées en France par le groupe Malicorne, ou celles électrifiées en Angleterre par le premier Genesis… De l’enchantement donc – voire une pointe de sorcellerie : Pierre Hamon inaugurait pour l’occasion une très étrange flûte en corne de bouquetin corse qu’il est allé faire sonner dans l’abside ; et il suffisait d’entendre Nolwenn Le Guern parler de son archet en bois d’if – ligaturé de cuir, crin noir et crin blanc alternés – comme d’une baguette de sorcière pour s’imaginer que des forces surnaturelles étaient venues nous visiter… Difficile d’ailleurs de ne pas succomber à l’émotion – et au désir de fredonner avec eux – quand les trois musiciens reviennent en bis chanter le virelai de Machaut, Quant je sui mis au retour, dont la mélancolie nous tombe dessus telle une comète ayant traversé les siècles.
 
Didier Lamare

 

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(1) www.le-thoronet.fr/agenda/programmation-2024/les-musicales-de-l-abbaye-du-thoronet/notre-dame-la-legende-des-siecles-les-racines-et-les-semences-de-l-ecole-de-notre-dame
 
(2) https://www.concertclassic.com/article/marc-mauillon-entre-renaissance-et-xxe-siecle-un-eclectisme-gourmand
 
(3) En 2005, Marc Mauillon avait enregistré Machaut pour son premier disque et poursuivi l’aventure sous la direction musicale déjà de Pierre Hamon jusqu’en 2012 (réédition en 2022 dans un coffret 4CD Eloquentia) :
outhere-music.com/fr/albums/guillaume-de-machaut
Quand on fait remarquer aux musiciens qu’ils interprètent aujourd’hui ce répertoire avec encore plus de ferveur, le chanteur avoue en riant qu’il faut bien que vieillir serve à quelque chose…
 
Concert du 20 septembre 2024 dans l’abbatiale du Thoronet
www.le-thoronet.fr/agenda/programmation-2024/les-musicales-de-l-abbaye-du-thoronet/l-amoureus-tourment

Photo © Francis Vauban

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