Le covid avait conduit à l’annulation du spectacle, initialement prévu à la rentrée 2020 ; il aura fallu attendre presque trois ans pour que Le Bourgeois Gentilhomme mis en scène par l’ancien patron du Comique, Jérôme Deschamps, arrive enfin à Favart. Entre temps, la production aura été proposée sur diverses scènes, dont celle de l’Opéra de Marseille en novembre 2021 ; ce qui avait donné l’occasion à Michel Egéa de souligner dans nos colonnes les qualités d’une savoureuse conception de la comédie-ballet de Molière et Lully (1670). (1)
 

 
Entraîné par le Monsieur Jourdain de Jérôme Deschamps, épatant de drôlerie dans son obsession d’imiter les « personnes de qualité » et son aptitude à se laisse duper, au grand désespoir de sa réaliste épouse, la pièce séduit par son élan et sa sobriété colorée dans un décor unique et très fonctionnel de Félix Deschamps et de beaux costumes signés Vanessa Sannino.
« Quoi de neuf ? Molière ! » Le sens comique du génial Poquelin se révèle toujours aussi immanquablement efficace au cours d’un spectacle parfaitement huilé que ponctuent pas mal de gags appuyés sur des objets empruntés aux temps modernes (dont un fer à repasser, très généreux en mode vapeur !), qui reviennent pour plusieurs d’entre eux à une Nicole fort occupée à estourbir les rats – détail ne manquant pas de sel dans le contexte parisien actuel !
 

Remarquable côté musique, on va y revenir, le spectacle, lors de la deuxième représentation, pêche sans doute sur le plan théâtral par un flux un peu trop pressé dans sa première partie, hormis lors la scène avec le parfait Maître de philosophie de Jean-Claude Bolle Reddat. Mais on ne boude pas le plaisir de l’échange plein d’électricité du Maître de musique de Sébastien Boudrot et du Maître de danse de Guillaume Laloux, qui incarne en outre un Dorante onctueusement manipulateur. Ou encore l’intervention de Vincent Debost en maître d’armes, très bon Covielle par ailleurs, aussi prompt à lever le coude que son maître Cléonte (Aurélien Gabrielli). Les dames méritent bien des éloges aussi : Josiane Stoleru, attachante Madame Jourdain pleine de bon sens, Pauline Gardel, vive et lumineuse Lucile, Pauline Tricot, vibrionnante Nicole, sans oublier la belle Dorimène de Pauline Deshons.
 

Côté musique, l'impatience était vive d'entendre Théotime Langlois de Swarte en fosse, à la tête des Musiciens du Louvre (Marc Minkowski ayant dû déclarer forfait pour les premières dates de la série). On connaissait le talent de l’instrumentiste, on découvre celui du chef, qui dirige d’ailleurs parfois du violon. Le rapprochement entre la relation que nous lui connaissons avec son instrument et celle qu’il entretient avec la formation s’impose : il en obtient un son plein et chaleureux, conduisant avec des attaques nettes mais jamais rêches ou tranchantes et un sens affirmé de la respiration. Son souci de la couleur fait en particulier merveille lors de l’Intermède de l’Acte IV, en contrepoint de la prestation d’un Jérôme Deschamps proprement impayable en Mamamouchi, et du ballet final (Natalie Van Parys signe la chorégraphie).
 

Avec le renforts des voix de Nathalie Perez, Nile Senatore, Lisandro Nesis et Jérôme Varnier, Théotime Langlois de Swarte nous fait regretter que la musique occupe une part finalement réduite, mais délectable ô combien !, dans ce qui constitue la dernière collaboration de Molière et Lully. Un chef à suivre, vous l’aurez compris.
Le spectacle dure jusqu’au 26 mars ; n’hésitez pas !