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Le Cid de Massenet à Marseille - Alagna/Uria-Monzon : tandem de rêve - Compte-rendu
Le Cid, comme Cyrano de Bergerac, La Juive ou Robert le diable, n'est jamais parvenu à s'imposer sur les scènes lyriques. Faut-il rendre responsables les directeurs de salles, ou donner raison à l'histoire et à la sélection naturelle qui touche invariablement la création ? Vaste question à laquelle nous ne tenterons pas de répondre ici. Marseille vient en tout cas de réparer un « oubli » en redonnant sa chance à cette œuvre de Massenet inspirée de Guillen de Castro et de Corneille, qui n'avait pas été jouée in loco depuis 1937.
Inutile de monter une telle entreprise sans interprète majeur : après Placido Domingo titulaire de l'unique version discographie (un live de 1976 dirigé par Eve Queler avec Grace Bumbry), d'un concert au Châtelet en février 1981 avec Dunja Vejzovic, ainsi que d'une version scénique donnée à Washington en 1999, et tout récemment de José Cura à Zürich (dirigé par Plasson en 2008), Roberto Alagna a accepté de se frotter à cette figure mythique. Abordé au bon moment, en conclusion d'une saison particulièrement brillante, ce rôle de héros partagé entre l'honneur et l'amour, convient parfaitement au ténor.
Une fois la scène d'entrée passée et avec elle quelques aigus prudemment négociés, « O noble lame étincelante », la voix a su trouver sa position, se projeter avec assurance sur toute la tessiture, Alagna sachant user avec intelligence de son timbre au grain toujours précieux, sur lequel se lisent désormais les traces sédimentaires laissées par Don José, Werther, Faust et autres des Grieux mais également Radamès ou Don Carlo. Fébrilement attendu par le public dans l'air du 3ème acte « O souverain, o juge, o père », Alagna a su transporter l'auditoire par la vaillance et la noblesse de son chant demeuré avec le temps spontané et sans artifice.
Difficile à distribuer en raison de son écriture chaotique, Chimène a la chance d'être défendue par Béatrice Uria-Monzon. Ces deux-là se connaissent, s'apprécient et leur voix autant que leurs personnalités s'apparient merveilleusement. La mezzo a du caractère, joue avec élégance, sait faire valoir une belle discipline vocale et une solide endurance qui lui permettent d'assumer crânement cette partition aux multiples embuscades, de réussir « Pleurez mes yeux » et de s'imposer en duo avec Rodrigue dans un « Toi, toi en cette demeure » lourdement chargé d'érotisme.
Autour d'eux, Franco Pomponi (remarquable Hamlet l'an dernier auprès de Patrizia Ciofi) est un Roi d'une belle assurance, Jean-Marie Frémeau un Comte de Gormas de belle allure, Francesco Ellero d'Ategna un Don Diègue aux moyens usés, tandis que la jeune et fraîche Kimy Mc Laren s'approprie avec ardeur les quelques répliques réservées au personnage de l'Infante. Au spectacle sobre et efficace de Charles Roubaud, dont la transposition du temps de la Reconquista dans une Espagne des années cinquante, fait habilement résonner le contexte politico-historique du drame (beaux décors d'Emmanuelle Favre, costumes soignés signés Katia Duflot), répond malheureusement une désastreuse direction d'orchestre. Jacques Lacombe ne tient ses pupitres que par intermittence, incapable d'imprimer à cette partition aux intentions mélodiques douteuses un angle personnel et cohérent, laissant flotter le discours au risque de perdre les chanteurs en chemin. Cela ne ternira pas notre souvenir, mais quel dommage de ne pas avoir eu un vrai chef en fosse.
François Lesueur
Massenet : Le Cid – Marseille, Opéra, 23 juin 2011
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Photo : DR
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