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Le dernier Onéguine de Mathieu Ganio au Palais Garnier – Emotion racée – Compte rendu

© Julien Benhamou
 
On va beaucoup le regretter, le beau prince de l’Opéra de Paris. Car, au moins sur scène, il faut des princes, puisqu’il faut des contes. Onéguine, certes, n’est pas une histoire joyeuse, c’est même la plus absurde, la plus sotte des courses à la mort qui soit, par la superficialité du dilemme qui oppose les deux amis, Onéguine et Lenski. Pouchkine savait cerner l’humain, trop humain. Et, on l’a dit ici précédemment, le ballet de John Cranko, prélude aux grandes fresques romantiques de John Neumeier, est une splendeur : rien n’y manque, rien n’y est de trop, même si la musique choisie, dont pas une note n’est tirée de l’opéra de Tchaïkovski, en appelle une autre parfois …

 

© Julien Benhamou

 
Si Mathieu Ganio, qui n’a pas tout à fait l’âge requis pour tirer sa révérence, a choisi pour ces adieux, le rôle finalement peu sympathique du sombre héros, c’est qu’il lui va comme un gant, par le lyrisme et le contraste des facettes du personnage, décrypté par une chorégraphie d’une intense expressivité. Pendant toute sa carrière d’étoile il a illuminé la scène parisienne par sa finesse, son élégance, d’abord de jeune Apollon puis de gentilhomme racé, suprêmement stylé autant qu’admirable porteur. Si l’affiche qui célèbre son souvenir a choisi de le montrer en Albrecht de Giselle, profil grec, pourpoint velours et fleurs blanches, il faut aussi se souvenir de lui comme d’un des plus subtils traducteurs du langage de Neumeier, notamment dans le Chant de la Terre, et la 3Symphonie de Mahler, et plus encore, car on l’oublie fréquemment, dans le beau Proust de Roland Petit, où il incarna un splendide Saint-Loup dans un duo mené avec l’autre étoile, Stéphane Bullion, Morel non moins splendide.
Le nom de Roland Petit est d’ailleurs intimement lié à cette famille vouée à la danse puisque la divine Dominique Khalfouni, mère de Mathieu , fut la Pavlova imaginée par Roland Petit, aux ballets de Marseille, après avoir fasciné le public parisien de ses arabesques immenses, de son tracé filigrané et de ses yeux de biche apeurée, notamment lors d’une inoubliable Giselle. Sans parler de Denis Ganio, danseur envoûtant, et père de Mathieu et de Marine, devenue récemment première danseuse à l’Opéra.
 

© Julien Benhamou
 
 
Soirée  extrêmement émouvante, comme le sont souvent ces adieux, où le danseur pèse le poids de l’amour que lui porte le public, ainsi que de l’amitié et de l’admiration de ses camarades. Et là, Ganio, recouvert de roses, sous la pluie de confetti scintillants qui accompagnaient les clameurs d’un public en folie, put juger de ce qu’il avait apporté au monde de la danse.
 

© Julien Benhamou
 
Son Onéguine disait combien il était encore en état de séduire, et manifestait une aisance souveraine, une légèreté intacte dans les sauts,  une versatilité surprenante dans les plus fins changements d’attitude, pour camper un personnage à la psychologie complexe. Face à lui, si touchante, la menue étoile Ludmilla Pagliero, qui s’en ira aussi incessamment, contrastant tellement avec l’étincelante Hannah O’Neill, qui avait tracé de Tatiana un tout autre portrait, beaucoup plus puissante, quelques jours auparavant. Et, aux commandes de l’Orchestre de l’Opéra, l’infatigable Vello Pähn, parfait dans ce répertoire.
 
Les distributions courent, elle procurent des surprises, déçoivent ou permettent de voir un talent s’affirmer dans un rôle qui convient : ainsi de Léonore Baulac, à l’empreinte dramatique parfois insuffisante, mais qui dans le rôle à la fois léger et déchirant d’Olga a montré une grâce, une fraîcheur et une perfection technique, surtout au niveau des pointes, qui ont beaucoup compté dans la force du spectacle, tandis que le coryphée Milo Lavêque avait laissé plus de souvenirs en Lenski que l’étoile Marc Moreau qui l’incarnait cette fois, tout comme Jérémy-Loup Quer avait donné du Prince Gremine une image plus forte que celle esquissée par Mathieu Contat. Tous ont leur moment de grâce … Et maintenant, l’Opéra attend son prince, comme La Belle au Bois Dormant, de Petipa-Noureev, sur laquelle il va continuer ses explorations pour trouver l’oiseau rare …
 
Jacqueline Thuilleux

 

Paris, Palais Garnier, le 1er mars 2025 // Lire le CR du spectacle du 17 février 2025 : www.concertclassic.com/article/oneguine-de-john-cranko-par-le-ballet-de-lopera-de-paris-la-danse-au-pinacle-compte-rendu
 
Photo © Julien Benhamou

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