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Le Malade imaginaire par la troupe du Théâtre Molière Sorbonne – Les Anciens sont les Anciens … - Compte-rendu
« Les Anciens, monsieur, sont les Anciens, et nous sommes les gens de maintenant. Les grimaces ne sont point nécessaires dans notre siècle » : s’il fallait suivre l’opinion qu’Angélique oppose à Thomas Diafoirus, c’est toute l’entreprise de Théâtre Molière Sorbonne qui s’en trouverait compromise, puisque le but en est précisément de donner à voir aux « gens de maintenant » comment les Anciens concevaient le théâtre, en l’occurrence, proposer une représentation du Malade imaginaire historiquement informée dans ses moindres aspects, sous la direction scientifique de Georges Forestier et dans la mise en scène de Mickaël Bouffard.
Mathieu Franchin (Polichinelle) © François le Guen
Cela suppose déjà un retour au « vrai » texte de l’ultime pièce de Molière : en effet, celui qui est imprimé partout et que l’on étudie en classe n’est qu’une version posthume, révisée et en partie réécrite, notamment vers la fin (entre autres choses, Molière n’a semble-t-il jamais fait dire à Argan « N’y a-t-il pas quelque danger à contrefaire le mort ? »). C’est bien sûr inclure tous les intermèdes musicaux écrits par Charpentier, comme l’avait fait jadis William Christie au Châtelet, même si leur intégration à la comédie est beaucoup moins justifiée que dans Le Bourgeois gentilhomme, cérémonie finale mise à part. C’est recréer des décors et des costumes dans le style du XVIIe siècle : bravo à Antoine Fontaine qui a repris le cadre imaginé pour la représentation donnée en 1676 dans les jardins de Versailles. C’est surtout – et c’est là que la tâche se complique – tenter de retrouver un style de jeu disparu, en formulant des hypothèses à partir de témoignages partiels et contradictoires : prononciation « restituée » du français, avec des différences parfois sensibles entre les comédiens, la Béline de Coraline Renaux évoquant carrément le parler québécois (« et j’trouve », « C’t une impertinente »…). Jeu implacablement frontal, tous les acteurs devant rester face au public, avec des gestes empruntés à un répertoire codifié. A travers toutes ces pratiques dépaysantes pour le spectateur d’aujourd’hui, Le Malade imaginaire ne perd rien de son efficacité, à en juger par les nombreux rires du public. Sans pouvoir citer tous les acteurs, on saluera néanmoins les prestations d’Antoine Gheerbrant (photo) en Argan et de Léa Sorrentino en Toinette, ainsi que le cocasse Diafoirus fils de Baptiste Montant et le Polichinelle de Matthieu Franchin.
Raphaël Robert (Cléante), Antoine Gheerbrant (Argan), Léa Sorrentino ( Toinette, au fond) & Angélique (Léa Gheerbrant) © François Le Guen
En ce qui concerne la partie musicale, qui réunit la « bande de violons » de Théâtre Molière Sorbonne, ainsi que des étudiants du Pôle Supérieur Paris Boulogne-Billancourt ( Conservatoires de Paris, Boulogne, et Aubervilliers), l’impression est un peu plus mitigée : malgré tous les efforts accomplis sous la direction d’Hélène Houzel, l’orchestre sonne décidément bien rugueux et l’on mesure la distance qui sépare cet ensemble ad hoc des formations professionnelles. Egalement étudiants, les chanteurs tirent mieux leur épingle du jeu : les trois dessus (Ana Escudero, Zoé Chabert et Océane Deweirder) présentent des timbres agréablement contrastés, complétés lors du divertissement séparant le deuxième et le troisième acte par la haute-contre Gaël Lefèvre en travesti. S’y adjoignent, dans des rôles moins exposés, Lisandro Pelegrina, haute-contre, Marcos Almeida Costa, taille, et Arié Vaisbrot, basse. Dans le rôle d’Angélique, Léa Gheerbrant interprète avec beaucoup de grâce son duo « improvisé » avec Raphaël Robert, Cléante mais également excellent Purgon. Les danseurs et acrobates relèvent eux aussi le défi avec brio, la cérémonie finale permettant de retrouver l’ensemble de la troupe dans un moment tout à fait réussi. Pour que l’on se croie transporté trois siècles et demi en arrière, il ne manquerait plus que de revenir à l’éclairage à la bougie : Benjamin Lazar l’a fait pour ses spectacles, donc c’est possible !
On aura le plaisir retrouver le Malade imaginaire du Théâtre Molière Sorbonne les 1er et 2 juin à Valenciennes dans le cadre du Festival « Embaroquement Immédiat » et le 18 juin à Paris (Théâtre de la Ville / Espace Cardin).
Laurent Bury
Molière/Charpentier : Le Malade imaginaire – Versailles, Opéra Royal, 30 mars 2022.
Prochaines représentations
1er et 2 juin 2022 - Valenciennes (Le Phénix) // www.embaroquement.com/
18 juin 2022 – Paris (Théâtre de la Ville – Espace Cardin)
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