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Le MSO pour la première fois à Paris, interview d'Oleg Caetani
L’Orchestre Symphonique de Melbourne a fêté le centième anniversaire de sa fondation en 2006. A l’occasion de sa deuxième tournée européenne, le MSO fait halte à Paris le 30 janvier 2007 au TCE pour le premier concert français de son histoire. Il commençait à être temps… Chef permanent et directeur artistique du MSO depuis janvier 2005, Oleg Caetani répond aux questions de concertclassic. Il évoque son travail avec le MSO, mais également l’influence de Nadia Boulanger ou encore la superbe intégrale des symphonies de Chostakovitch qu’il vient d’enregistrer avec l’Orchestre Giuseppe Verdi di Milano…
Enfin, n’oubliez pas de découvrir Oleg Caetani dans nos vidéos de la semaine en cliquant ICI.
Alain Cochard : Quand vous considérez la carrière de votre père, Igor Markevitch, en quoi celui-ci a-t-il à votre avis le plus marqué l’histoire de la direction d’orchestre ?
Oleg Caetani : Markevitch était un chef que l’on peut qualifier d’alternatif. Il ne dirigeait pas l’opéra et se consacrait beaucoup à la musique de son temps. Il a montré, à mon avis, le meilleur de lui-même au disque. Ses enregistrements demeurent, même d’un point de vue stylistique, très actuels. Il pratiquait la direction d’orchestre d’une manière très différente de tous ses collègues. Je suis pratiquement à l’opposé, car j’ai décidé de mener une carrière « standard ». J’ai commencé par être pianiste à l’opéra, à accompagner des chanteurs, puis j’ai dirigé des musiques de scène. J’ai ensuite été chef permanent dans de petites villes. Peu à peu on m’a confié des orchestres plus importants, j’ai eu l’occasion de diriger de l’opéra en France, en Amérique, etc. En bref, un parcours progressif.
Ce parcours vous a donné l’occasion de travailler avec nombre de personnalités musicales éminentes : Ferrara, Kondrachine, Musin, sans oublier évidemment Nadia Boulanger…
Oleg Caetani : Nadia Boulanger est certainement la rencontre musicale la plus importante de ma vie ! J’ai étudié pendant des années au Conservatoire Américain de Fontainebleau. Nadia Boulanger était une personnalité écrasante, mais qui savait mettre un jeune élève en valeur. C’était un mélange d’affection, de tendresse, de gentillesse, de rigueur et de sévérité ; d’académisme absolument implacable et de curiosité envers tout ce qui se faisait. J’ai assisté à sa rencontre avec Xenakis, chez elle, et à celle avec Stockhausen, chez Henry-Louis de la Grange. Elle les mitraillait de questions ; on ne pouvait qu’être étonné par son ouverture d’esprit. Et quelle honnêteté dans son approche de la musique. Sa relation avec les élèves était faite de charme et de ténacité. Elle savait établir un rapport de confiance. On parle beaucoup dans la direction d’orchestre de l’autorité comme base de tout. Je pense en réalité que cette base c’est la confiance, liée à une autorité naturelle et à la compétence. En cela son enseignement et son exemple m’ont été très profitables en tant que chef.
J’ai aussi eu la chance de rencontrer d’autres musiciens. Kondrachine était un self made man qui m’a beaucoup appris sur les aspects pratiques de la direction d’orchestre, Musin, immense professeur, m’a quant à lui énormément apporté sur le plan technique. Ferrara possédait un instinct extraordinaire et m’a enseigné des choses touchant à la simplicité, à la concision, au choix des bons tempi. A Berlin, j’ai eu la chance d’être l’assistant d’Otmar Suitner qui avait travaillé avec Clemens Krauss et m’a beaucoup transmis au sujet de Beethoven et de Richard Strauss – dont Krauss avait été le librettiste pour Capriccio.
Mais, définitivement, ma principale rencontre musicale se nomme Nadia Boulanger !
Vous êtes devenu chef permanent et directeur artistique du Melbourne Symphony Orchestra en janvier 2005. Comment avez-vous été amené à prendre les rênes de cette formation ?
Oleg Caetani : Depuis longtemps des collègues me parlaient des qualités des orchestres australiens et néo-zélandais, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’en diriger. Le hasard a voulu que, durant un Ring que je donnais à Berlin, un musicologue australien m’entende et conseille à l’Orchestre Symphonique de Melbourne de m’inviter. Cela n’a pas tardé. J’ai fait un premier concert avec la 6ème Symphonie de Chostakovitch et les responsables de l’orchestre m’ont rapidement proposé le poste de chef permanent. J’étais fou de joie car immédiatement la relation avec la formation m’a enthousiasmé. J’ai toutefois préféré ne pas précipiter les choses et avoir une position de premier chef invité pendant un moment – afin de bien connaître l’orchestre -, avant que ma nomination comme chef permanent et directeur artistique n’intervienne, début 2005.
Qu’est ce qui vous à le plus frappé dans le comportement des musiciens australiens lors de votre premier contact avec le MSO ?
Oleg Caetani : D’abord le sens du collectif, une attitude très XIXe siècle, que la Staatskapelle de Dresde ou le Philharmonique de Saint-Pétersbourg conservent encore un peu aujourd’hui, mais ça devient très rare… Un pour tous, tous pour un : on perçoit immédiatement cet état d’esprit quand on arrive devant un orchestre tel que le MSO.
D’un point de vue plus pratique, comment est financé le MSO ?
Oleg Caetani : A 70 % par le gouvernement australien, 20% par le département de Victoria – grand comme la France ! – et 10% par la ville de Melbourne. Le « beurre dans les épinards » est mis par les sponsors, sans lesquels une tournée telle que celle qui nous mènera en France le 30 janvier serait impossible. Les sponsors interviennent également dans le financement de nos projets discographiques ou des opéras en concert.
Parlons de vos projets discographiques. A peine nommé à la tête du MSO, vous vous êtes lancé dans une intégrale des neuf symphonies(1) d’Alexandre Tansman (1897-1986) - pour le label Chandos - un compositeur très oublié aujourd’hui…
Oleg Caetani : La deuxième guerre mondiale a vraiment blessé notre culture – allemande, mais plus généralement européenne –, a introduit une césure qui a été raccommodée ici ou là pour certaines choses, mais pour d’autres la volonté de couper avec le passé a été plus forte. De retour de son exil américain, Tansman n’a pas connu le succès qu’il aurait mérité.
Il faut aussi se souvenir du poids exercé par l’idéologie adornienne : on ne voyait aucune alternative à la voie ouverte par Schoenberg ; c’était ça et rien d’autre n’était possible. Le « boom » Chostakovitch eu lieu, mais combien ce compositeur a-t-il souffert du jugement d’Adorno qui le considérait comme le « Vivaldi du XXe siècle ». Et voyez les dégâts s’agissant de Sibelius… Cette idéologie a condamné un important patrimoine musical. La situation évolue enfin, mais avec une grande difficulté. Dans un pays ouvert à tout comme l’Australie, il m’est évidemment plus facile de proposer d’enregistrer ces classiques du XXe siècle qui doivent à mon sens être remis en valeur.
Qu’est-ce qui fait l’originalité, la singularité de Tansman selon vous ?
Oleg Caetani : Son cas est un peu comparable à celui de Brahms. Tansman trouve un style à vingt ans et dans ce style une évolution extraordinaire s’opère. Il va toujours son chemin. C’est toute la différence avec un Milhaud qui a changé continûment de style. Tansman est une sorte de « Chostakovitch français »
Venons en à Chostakovitch justement. Vous avez réalisé une intégrale des quinze symphonies avec l’Orchestre Giuseppe Verdi de Milan (2) ; une interprétation qui surprend par l’exactitude avec laquelle les indications de tempo du compositeur sont respectées. On est habitué à beaucoup plus de libertés, de rubato dans ces œuvres…
Oleg Caetani : Les partitions de Chostakovitch comportent de nombreuses indications de tempo, qui peuvent sembler très rapides mais qui sont justes. Les respecter change tout. De 65 minutes environ, la 8ème Symphonie devient un ouvrage de 50 minutes. Une quinzaine de minutes de différence à l’échelle d’une symphonie, c’est énorme ! Quand Chostakovitch veut un ritardendo, il le réclame. Pas besoin d’en faire un si ce n’est pas le cas. Cette démarche ne me vient ni de Musin, ni de Kondrachine, mais… du côté implacable, de la rigueur de Nadia Boulanger. Elle ne m’a pas parlé de Chostakovitch, elle l’a découvert très tard dans sa vie et je sais qu’elle a aimé cette musique. Respecter la partition de Chostakovitch est bien plus important pour moi que d’inventer mes petits rubati.
Mais il faut aussi un orchestre capable de tenir les tempi. Quelle superbe phalange que l’Orchestre Giuseppe Verdi de Milan !
Oleg Caetani : Cet orchestre a douze ans d’existence. C’est une superbe expérience ; un orchestre de jeunes (de 18-à 24 ans) né de l’initiative commune du chef russe Vladimir Delman et de M. Corbani, maire-adjoint de Milan. Il s’agit d’un orchestre de jeunes mais avec un fonctionnement absolument professionnel, une saison, les obligations et la régularité de travail que cela suppose. La formation possède une fraîcheur très particulière. L’expérience de l’intégrale Chostakovitch avec ces jeunes musiciens était d’autant plus stimulante pour moi qu’ils étaient complètement « neufs » face à cet auteur. Il y a en effet une forte tradition Prokofiev en Italie, mais pas de tradition Chostakovitch. Les Italiens avaient tendance à trouver le musicien russe ennuyeux – ils ont la même attitude face à Bruckner. Depuis quelque temps, les choses changent et notre intégrale y a sûrement contribué. La tradition de son des orchestres italiens, assez sèche, très directe, avec des accords courts, m’a semblé intéressante à exploiter dans la musique de Chostakovitch. Le côté secco, pointu, accentue la dimension ironique du propos.
Pour conclure, où en est la création musicale aujourd’hui en Australie ?
Oleg Caetani : Les compositeurs australiens ne sont pas soumis au poids du passé qui pèse sur les auteurs européens ; on trouve des choses très intéressantes. J’apprécie beaucoup Ross Edwards – il a écrit un concerto pour hautbois donné en 2006 sous la baguette de Maazel à New York –, mais aussi Gordon Kerry, Paul Stanhope, Richard Mills ou encore Brett Dean, né en 1961, dont une œuvre, Amphitheatre, figure au programme de notre concert parisien du 30 janvier, aux côtés du Concerto n°1 pour violon de Chostakovitch avec Sarah Chang et du Sacre du Printemps.
Interview réalisée par Alain Cochard, le 19 décembre 2006
Orchestre Symphonique de Melbourne, dir. Oleg Caetani. Chostakovitch, Stravinsky, Dean. Théâtre des Champs Elysées/ Mardi 30 janvier à 20h. Dernières places disponibles.
(1) Beaucoup d’ouvrages mentionnent l’existence de huit symphonies de Tansman. Une 9ème Symphonie a été découverte il y a peu et fera donc partie d’une intégrale dont le volume 1 (Symphonies nos 4, 5 et 6) est déjà disponible sous la référence Chandos/CHSA 5041
(2) L’intégrale des quinze symphonies de Chostakovitch par Oleg Caetani a été publiée sous le label ARTS l’an dernier. Disponible en coffret ou en volumes séparés, elle se range à l’évidence parmi les plus importantes contributions discographiques au centenaire Chostakovitch (10 SACD ARTS / 47850-8)
Photo : DR
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