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Le Quatuor Dutilleux et Victor Julien Laferrière au Festival « Passione Violoncello » du Palazzetto Bru Zane – Le « Beethoven français » en majesté – Compte-rendu
Depuis sa première saison vénitienne en 2009-2010, le Palazzetto Bru Zane a pris l’habitude de présenter deux festivals, l’un à l’automne, l’autre au printemps, en mettant le plus souvent l’accent sur un compositeur. Du 26 mars au 16 mai prochains, Georges Bizet sera ainsi au cœur d’une série axée sur des aspects méconnus de sa production (dont la mélodie et la transcription).
Avec l’automne, c’est non pas d’un auteur, mais d’un instrument dont il est question, le violoncelle, au cours du festival « Passione Violoncello » qui se prolonge jusqu’au 24 octobre. Après le mouvement d’émancipation dont l’instrument à archet avait bénéficié au XVIIIe siècle (Vivaldi lui consacra près d’une trentaine de concerti), le suivant fut celui de sa pleine affirmation – fièrement campé sur sa pique à partir des années 1830 ! –, permise par une profonde évolution de sa technique et, partant, de son potentiel expressif. Autant dire qu’il y a matière à de passionnantes découvertes.
George Onslow (1784-1853) © bruzanemediabase
Qui aborde le thème violoncelle en France dans le contexte chambriste est inévitablement amené à s’intéresser à George Onslow (1784-1853) dont la production totalise 36 quatuors et 34 quintettes à cordes. Le PBZ s’était d’ailleurs déjà penché sur l’artiste clermontois dès avril-mai 2015 lors d’un festival vénitien dont nous nous étions fait l’écho.(1) Compte-tenu de son ampleur le sujet était loin d’être épuisé et Onslow a fait son retour le 25 septembre au Centre de musique romantique française avec le 21e Quintette avec deux violoncelles en sol mineur op. 51, sous les archets du Quatuor Dutilleux associés à celui de Victor Julien-Laferrière – luxueuse équipe !
Daté de 1834, l’Opus 51 justifie pleinement la formule par laquelle Pleyel désigna un jour son collègue : « le Beethoven français ». L’influence des classiques viennois, celle de l’auteur des « Razumovsky » au premier chef, se fait nettement sentir dans un langage qui n’ignore pas non plus l’apport des compositeurs de la période révolutionnaire (Méhul en particulier), ni celui de Reicha, auprès duquel Onslow étudia l’harmonie et le contrepoint. (2) En résulte une partition solidement architecturée qui de bout en bout séduit par son relief expressif. Allegro impetuoso : d’emblée on est saisi par un propos haletant, viril, mais qui sait aussi offrir des moments de repli, de secret presque. Porté par un bouillonnement sous-jacent, le Scherzo : presto n’est pas moins impeccablement tenu par les interprètes. Aussi intense que précise, leur complicité souligne la fébrilité du propos, avant que l’on ne cède au lyrisme de l’étreignant Andante. Non troppo lento : les musiciens se montrent attentifs à cette indication et soignent les coloris changeants de l’épisode. Quel feu, quelle passion trouve-t-on enfin dans le Presto conclusif dont la nuance agitato est comprise dans toute sa dimension psychologique et sans précipitation inutile.
Le Quatuor Dutilleux (Guillaume Chilemme, Matthieu Handtschoewercker, David Gaillard, Thomas Duran) & Victor Julien-Laferrière © Nika Marchi
Après Onslow, place à Théodore Gouvy (1819-1898) (qui a lui aussi déjà fait l’objet d’un festival à Venise en avril-mai 2013) et son Quintette avec deux violoncelles en ré mineur, troisième d’un ensemble de six quintettes élaborés entre 1869 et 1880. De 1879, le Quintette en ré mineur ne possède pas la même puissance expressive que le Quintette en si mineur donné au Palazzetto en 2015 par Quatuor Manfred et de Xavier Phillips (3), mais on se laisse toutefois aisément prendre par une partition dont les Dutilleux et Victor Julien-Laferrière soulignent la caractère narratif de l’Allegro moderato initial, aux allures de conte fantastique – on y sent la proximité du compositeur lorrain avec la culture d’outre-Rhin. Un paysage au climat un peu fantomatique se dessine dans l’Andante patetico, qui montre des archets très attentifs à l’équilibre des voix. Avec l’Intermezzo – Allegretto l’atmosphère s’allège et s’éclaire : les interprètes font leur miel de la fluidité souriante et dansante du morceau (qui fera d’ailleurs office de bis). Pour mieux se plonger dans le noble recueillement de l’Adagio introductif d’un finale Allegro con brio dont le caractère fantastique et la brûlante énergie sont traduits par des instrumentistes pleinement investis.
Une splendide découverte et un grand moment de complicité chambriste pour tous les auditeurs rassemblés dans la bonbonnière du Palazzetto mais, qu’on se rassure, à partir du 22 novembre la captation du concert sera librement disponible sur la chaîne Youtube du PBZ.
Pour l’heure, le festival « Passione Violoncello » se poursuit avec, le 15 octobre, Aurélien Pascal et Josquin Otal dans des pages de Chevillard, Dumas, Huré et Lecocq, et pour conclure, le 24 octobre, un programme Debussy, Nadia Boulanger et Franck confié à Miriam Prandi et Gabriele Carcano.
Alain Cochard
> Voir les prochains concerts de violoncelle en France <
Venise, Palazzetto Bru Zane, 25 septembre 2024 / Festival « Passione Violoncello » jusqu’au 24 octobre 2024 // bru-zane.com/fr/ciclo/ciclo-passione-violoncello/#
Photo © Nika Marchi
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