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Michel Bouvard à l’orgue Grenzing de Radio France – L’univers du Choral selon Bach et Franck – Compte-rendu

 

Titulaire de l’un des Cavaillé-Coll les plus prestigieux, celui de Saint-Sernin de Toulouse (1889), sur lequel il a gravé en 2022 pour La Dolce Volta les Douze Pièces de César Franck (1), Michel Bouvard rêvait de relever un défi : offrir à l’orgue Grenzing de Radio France les Trois Chorals de Franck. En regard de cette œuvre testamentaire s’imposa aussitôt l’idée d’associer trois grands Chorals de la maturité de Bach, de l’ensemble découlant une harmonie et une cohésion plus que probantes, enrichies de la présentation accessible et sensible des œuvres par le musicien, exégèse nourrie de l’approche des textes de chorals, nécessairement personnelle et d’autant plus intéressante sur le plan humain et poétique.
 
Palette propice 

 
S’il n’en faut pas moins trouver en chaque occasion une solution viable, la possibilité de jouer Bach de façon recevable sur quelque instrument que ce soit tient à « l’abstraction » de sa musique : L’Art de la Fugue à l’orgue, au clavecin, au piano, par un quatuor à cordes ou de saxophones reste L’Art de la Fugue. Bach se dresse au-dessus des contraintes instrumentales. Ainsi trouve-t-il sur le Grenzing de Radio France une palette propice à toutes ses exigences musicales, l’acoustique boisée pouvant même évoquer celle de certaines églises d’Allemagne moyenne …

 

© Mirou
 
Une intelligibilité de chaque instant

 
D’un bout à l’autre de ce récital, Michel Bouvard fit sonner « grand » le Grenzing, d’une présence affirmée, enveloppante sinon véritablement vibrante, comme on sait, tout en conservant dans Bach – sur des tempos enlevés : la vie même – et dans Franck une « intelligibilité » de chaque instant, mieux qu’une « clarté » qui mettrait tout sur un même plan, au détriment de la part du mystère. En ouverture, le grand De profundis de la Clavier-Übung III : Aus tiefer Noth schrei ich zu dir BWV 686, magistrale et écrasante polyphonie à six voix. Le pied droit de la double pédale, qui entonne le cantus, était ici doublé, strictement parallèle, par Yasuko Uyama-Bouvard – grande musicienne (2) – de sa main droite sur le quatrième clavier, pour une projection plus intense de la mélodie du choral, à l’instar d’un Cochereau à Notre-Dame avec cantus sur les chamades (cf. Le Disque du Centenaire, Solstice, 2024) – saisissant.
Les chorals de Bach étaient précédés d’une harmonisation, différenciée, légère, évocatrice, de la mélodie proprement dite. Au De profundis firent suite O Lamm Gottes unschuldig BWV 656 (« Ô innocent agneau de Dieu ») des Chorals de Leipzig : trois versus retraçant – ainsi Michel Bouvard ressent-il ce triptyque – les âges de la vie du Christ, puis le vertigineux Vater unser BWV 682 (« Notre-Père ») à cinq voix de la Clavier-Übung III, entre magistrale suspension du temps et son inexorable progression. À défaillir.
 
Un équilibre d’essence différente
 
Pour Bach, les modèles instrumentaux inspirés d’Allemagne centrale et du nord n’ont rien de catégorique. Franck, lui, reste « assujetti » à un modèle unique, vénéré dans le monde entier : l’idéal symphonique d’un Cavaillé-Coll. Or les anches du Grenzing, mais aussi les fonds – qui n’ont pas la noblesse de ceux de Cavaillé et parlent de manière plus tranchée – n’ont rien à voir avec cet idéal. Une autre cohérence. Le défi évoqué tient à la nécessité de trouver et d’instaurer un équilibre d’essence différente, tout en préservant la dynamique et les contrastes des plans sonores inhérents aux Trois Chorals. C’est peu de dire que Michel Bouvard y parvient avec maestria, sous-tendant l’indispensable continuité des œuvres d’un jeu plein de vie, de générosité et de chaleur humaine, rehaussé d’une agogique sensible, infimes décalages préservant la saveur de la découverte – tour de force s’agissant d’œuvres aussi connues.
 
L’accueil du public fut triomphal, et plus encore à l’issue du petit bis proposé : ayant commencé à six voix, il fallait terminer de même. Retour vers l’alpha & oméga de la musique d’orgue, Bach. Pas d’autre choix que l’immense Ricercare à 6 de L’Offrande musicale, grandiose et lui-même nourri de tout ce qui avait précédé. Un grand concert.
 
Michel Roubinet
 

Paris, Auditorium de Radio France, 22 mars 2025

 
(1) César Franck par Michel Bouvard, La Dolce Volta, 2022
 

 
(2) Portrait de Yasuko Uyama-Bouvard
www.concertclassic.com/article/yasuko-uyama-bouvard-inaugure-la-saison-de-plein-jeu-saint-severin-de-lorgue-au-pianoforte

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